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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

éloignement et une modification du regard : « Bernard mâchait ce goût <strong>de</strong> fête et d’enfance<br />

qui l’éloignait toujours davantage <strong>de</strong> la gare, du train » (CE, 11). Il oublie la femme qu’il<br />

vient <strong>de</strong> quitter, et ce changement est comme une sorte d’éveil. Bernard entre <strong>dans</strong> un autre<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> perception, et appartient à nouveau, <strong>dans</strong> une certaine mesure à l’enfance. La ville<br />

<strong>de</strong>vient pour lui « une ville – au bois – dormant », elle entraîne le voyageur « <strong>dans</strong> son<br />

atmosphère magique », et « pour la première fois <strong>de</strong>puis bien longtemps, il se sentait<br />

puérilement nu, et cette nudité entraînait un étrange sentiment d’indépendance et<br />

d’irresponsabilité » (CE, 12). Magie, étrangeté, disponibilité : les ingrédients du<br />

<strong>fantastique</strong> sont en place !<br />

Un autre exemple plus saisissant se trouve <strong>dans</strong> De l’autre côté <strong>de</strong> la forêt.<br />

Adalbert se promène <strong>dans</strong> la forêt et parvient à un carrefour <strong>de</strong> chemins. À ce moment là, il<br />

éprouve une sensation qui soulève en lui une « émotion inexplicable » (ACF, 32). Nous<br />

avons quitté le domaine <strong>de</strong> la rationalité pour celui <strong>de</strong>s sensations. Adalbert a le sentiment<br />

d’être déjà passé sur ces chemins. Mais il ne s’agit pas d’un souvenir proche et superficiel.<br />

<strong>Le</strong> souvenir qui s’empare <strong>de</strong> lui est « très ancien » :<br />

C’était le rappel d’une vieille souffrance, oubliée mais survivant en quelque obscure région <strong>de</strong> luimême,<br />

qui avait dû être assez vive et assez profon<strong>de</strong> pour subsister, enracinée <strong>dans</strong> un repli<br />

inconnu <strong>de</strong> sa mémoire et que la vue <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux routes qui se coupaient en une croix<br />

parfaitement régulière faisait remonter d’un très lointain passé jusqu’à un présent capable d’en<br />

éprouver encore la brûlure. (ACF, 32)<br />

<strong>Le</strong> superlatif absolu, l’apparition d’adjectifs tels que « obscure », « inconnu »,<br />

« lointain », d’expressions imprécises, « en quelque région obscure », « assez vive et assez<br />

profon<strong>de</strong> », la marque d’incertitu<strong>de</strong> « qui avait dû être », nous précipitent <strong>dans</strong> le<br />

<strong>fantastique</strong>. Adalbert s’arrête et cherche une image difficile à saisir. Un premier<br />

retournement est dû à un effet <strong>de</strong> personnification : « l’image s’était enfuie », « cette<br />

image refusait <strong>de</strong> se laisser prendre ». <strong>Le</strong> mot « image » est mis en position <strong>de</strong> sujet.<br />

Adalbert quitte le plan <strong>de</strong> la réalité objective et passe au plan <strong>de</strong> l’hallucination ou <strong>de</strong> la<br />

vision :<br />

Et tout à coup la voiture fut là, sur le chemin, arrivant presque au carrefour, et <strong>dans</strong> cette voiture il<br />

y eut une petite fille enveloppée d’un manteau blanc car les journées d’automne commençaient<br />

d’être froi<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong> cliquetis <strong>de</strong>s harnais, le roulement mat <strong>de</strong>s roues et le claquement <strong>de</strong>s sabots<br />

<strong>de</strong>vinrent plus précis, puis d’une sonorité éclatante, presque assourdissante, comme si elle était<br />

multipliée par cette distance <strong>dans</strong> le temps d’où elle émergeait. Dans la voiture était assise cette<br />

petite fille, seule lui semblait-il, car sa colère avait effacé les parents qui l’emmenaient, qui la lui<br />

arrachaient. Il reconnut les boucles blon<strong>de</strong>s qui s’échappaient d’un bonnet <strong>de</strong> fourrure, blanc<br />

aussi, et un fin visage, fragile et clair, qui regardait <strong>de</strong>vant lui, sans détourner les yeux. Derrière la<br />

voiture, <strong>de</strong>s bagages étaient attachés. (ACF, 33)

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