27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

144<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

désert : « Un grand silence emplissait le désert » (NATM, 113), phrase qui prend un certain<br />

relief parce qu’elle apparaît au milieu d’autres phrases plus longues. Sur ce fond<br />

silencieux, le cri poussé par la cavalière n’en a que plus <strong>de</strong> force : « Son cri était un cri<br />

d’appel, impérieux, tendre, rauque, avec une sorte <strong>de</strong> feulement féminin » (NATM, 114).<br />

Nous avons là la mise en place d’un <strong>fantastique</strong> sonore, acoustique qui vient compléter un<br />

<strong>fantastique</strong> visuel.<br />

<strong>Le</strong> troisième élément du tremendum est la modification du paysage. <strong>Le</strong>s cavaliers<br />

viennent d’un autre espace, d’un autre temps. De nombreux indices permettent au lecteur<br />

d’en être convaincu. Aux considérations du narrateur, « ils se laissaient avaler par la nuit<br />

qui les engendrait », s’ajoutent celles <strong>de</strong> Berg, « la nuit d’où ils viennent », et celle <strong>de</strong>s<br />

porteurs, « <strong>de</strong>s hommes d’un autre mon<strong>de</strong> ». Un autre univers se manifeste. Alors que nous<br />

sommes <strong>dans</strong> le désert, le vent du soir apporte un parfum inaccoutumé, « toutes les<br />

senteurs, grena<strong>de</strong>s, cyprès, roses, lauriers, jasmins, <strong>de</strong>s jardins sur lesquels il avait passé,<br />

avec un arrière-fond <strong>de</strong> souks, d’épices, <strong>de</strong> teintures, <strong>de</strong> cuirs. » (NATM, 112). <strong>Le</strong> paysage<br />

se transforme surtout lorsqu’apparaît la cavalière :<br />

(…) un énorme soleil, couleur <strong>de</strong> porphyre et <strong>de</strong> carmin, <strong>de</strong>scendait vers l’horizon gris strié <strong>de</strong><br />

bleu. (…) <strong>Le</strong> soleil, à ce moment-là, semblait posé comme un joyau colossal sur le bonnet <strong>de</strong><br />

fourrure claire, et pendant tout le temps qu’il prit à <strong>de</strong>scendre le long du corps <strong>de</strong> la cavalière et<br />

du corps du cheval, jusqu’à trancher l’horizon <strong>de</strong> son couperet sanglant (…). (NATM, 114)<br />

L’horizon constitue une frontière entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, le mon<strong>de</strong> réel et le mon<strong>de</strong><br />

<strong>fantastique</strong>. <strong>Le</strong> couchant désigne traditionnellement le pays <strong>de</strong>s morts. Ce soleil a pris la<br />

place <strong>de</strong> la lune liée au contraire à la fécondité au début du chapitre. Il prend une place<br />

démesurée <strong>dans</strong> un décor qui prend l’aspect d’une peinture ou d’un bas-relief. <strong>Le</strong> paysage<br />

se minéralise, et cette minéralisation s’accor<strong>de</strong> avec les thèmes du silence et <strong>de</strong><br />

l’immobilité. <strong>Le</strong> « joyau colossal » introduit l’idée d’une royauté que la cavalière exerce<br />

sur les mon<strong>de</strong>s inférieurs rendus plus inquiétants par l’image du couperet. <strong>Le</strong> soleil<br />

disparaissant désigne une route à suivre. Alors que la cavalière revient, une nouvelle<br />

transformation intervient. <strong>Le</strong> gris, couleur <strong>de</strong>s enfers, envahit le paysage, et il permet à une<br />

autre lumière <strong>de</strong> se révéler, <strong>de</strong>s lueurs marines qui laissent supposer une correspondance<br />

mystérieuse entre la cavalière et le mon<strong>de</strong> océanique.<br />

Alors intervient le <strong>de</strong>rnier élément du tremendum : le fascinans, mêlé à la<br />

majestas tant les voyageurs sont fascinés par la beauté <strong>de</strong> la cavalière. Elle est à la tête <strong>de</strong><br />

la hor<strong>de</strong> <strong>de</strong> cavaliers prêts à exécuter ses ordres, exerce une autorité royale. <strong>Le</strong> lecteur<br />

remarque l’importance <strong>de</strong>s adjectifs : la cavalière est « impassible », son cri d’appel est<br />

« impérieux » son regard « dominateur et farouche ». L’élément <strong>de</strong> majestas est un élément

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!