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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>Le</strong> gardien <strong>de</strong> chevaux se tait : un son puissant, intense, d’une violente douceur (…je veux dire,<br />

expliquerait-il, d’une douceur qui violente…) court sur la prairie, horizontalement, à hauteur<br />

d’homme : un son qui glisse, qui s’amplifie, qui s’organise avec <strong>de</strong>ux ou trois notes, lentement,<br />

pareil au flot d’une eau invisible. Aigu, continu, irritant presque jusqu’à l’exaspération, une seule<br />

note au moment où le premier rayon <strong>de</strong> la courbure supérieure du soleil frôle l’horizon : comme<br />

d’un instrument très primitif, un chalumeau rustique, mais d’une ampleur et d’une intensité<br />

dramatiques. Et puis, à mesure que le soleil s’élève et jusqu’à ce que la courbure inférieure pose<br />

sur le sol, d’autres instruments s’associent au concert : <strong>de</strong>s cors, <strong>de</strong>s hautbois, <strong>de</strong>s flûtes, et<br />

bientôt, dominant tout, large et moelleux, un luth. (NATM, 227-228)<br />

Cette tradition selon laquelle le soleil émet <strong>de</strong>s sons que l’on peut entendre sur<br />

terre nous emmène vers la mythologie grecque. <strong>Le</strong> dieu archer Apollon fait entendre un<br />

son lorsqu’il lâche la cor<strong>de</strong> <strong>de</strong> son arc pour lancer ses flèches <strong>de</strong> lumière. On trouve trace<br />

<strong>de</strong> ce motif chez d’autres auteurs tels que Jean-Paul Richter, Goethe ou Hoffmann pour qui<br />

les sons forment « un pont entre l’homme et les puissances secrètes du cosmos » 683 . Il<br />

s’agit là d’une véritable orchestration, à rapprocher <strong>de</strong>s poèmes symphoniques, ou <strong>de</strong> ces<br />

symphonies que l’on commence à composer dès le début du XIX e siècle. <strong>Le</strong>s cors, que l’on<br />

retrouve <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse Ilse, <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel, font<br />

penser aux lointains inaccessibles, les hautbois et les flûtes, en tant qu’instrument à vent,<br />

sont interprètes <strong>de</strong> l’infini. Ils laissent place à un instrument à cor<strong>de</strong>s, le luth, associé chez<br />

<strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> à la mélancolie.<br />

<strong>Le</strong> gardien <strong>de</strong> chevaux apparaît comme une sorte <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> musique. Plus loin<br />

<strong>dans</strong> le roman, il revient pour annoncer la mort <strong>de</strong> Wenzel, et au moment <strong>de</strong> prendre<br />

congé, commence à moduler quelques sons :<br />

Et à mesure que ses souvenirs étaient plus précis, la sonorité du chant s’affermissait, le <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong><br />

la mélodie se détachait sur le glacier étoilé, débarrassé <strong>de</strong>s hésitations et <strong>de</strong>s erreurs, et nous<br />

entendîmes, stupéfaits, à la limite <strong>de</strong> la neige et du glacier, cette phrase <strong>de</strong> la Sonate posthume<br />

que Wenzel aimait tant. La nuit <strong>de</strong>vint plus bleue, les reflets <strong>de</strong>s constellations prirent un éclat<br />

solennel et tendre, l’espace fut parcouru <strong>de</strong> doux frémissements. (NATM, 242)<br />

Musique et nuit s’associent, porteuses <strong>de</strong>s mêmes virtualités <strong>fantastique</strong>s. Elles<br />

transportent, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’univers habituel, vers l’infini.<br />

La musique a la capacité <strong>de</strong> modifier le paysage environnant. On en trouvera un<br />

autre exemple <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Miroirs et les gouffres. <strong>Le</strong> prince reçoit la visite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

mystérieux voyageurs, un vieil homme et un jeune garçon, Erik, incarnations du diable et<br />

<strong>de</strong> la mort. Erik se met à chanter un vieux Minnesang allemand : « Der walt stuont aller<br />

683 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, L’Allemagne romantique, tome 2, op. cit., p.147.

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