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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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410<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

(CO, 100). À l’occasion <strong>de</strong> la fête donnée au château, les lumières leur prêtent « une vie<br />

nouvelle ». On constate alors la disparition <strong>de</strong>s tournures modalisantes :<br />

<strong>Le</strong>s ombres que le vent faisait remuer <strong>dans</strong> les creux <strong>de</strong>s membres suscitaient <strong>de</strong>s gestes imprévus.<br />

La flamme <strong>de</strong>s torches réchauffait la pierre, ranimait la nudité <strong>de</strong>s seins, <strong>de</strong>s ventres et <strong>de</strong>s<br />

cuisses. <strong>Le</strong>s draperies frémissaient et se soulevaient. <strong>Le</strong>s visages impassibles retrouvaient un<br />

ancien sourire. (CO, 188-189)<br />

Ces statues ont les caractéristiques <strong>de</strong> la statuaire baroque. La sculpture baroque<br />

est en effet avant tout mouvement, ignore la gravité statique. Cette prépondérance du<br />

mouvement doit être sentie même s’il s’agit d’une forme immobile. On doit percevoir un<br />

frémissement, une instabilité souvent associée à la mouvance <strong>de</strong> l’eau et à la présence <strong>de</strong>s<br />

fontaines. D’autre part, ces statues ont un côté théâtral. C’est à l’occasion d’une fête, d’une<br />

mise en scène riche en effets lumineux qu’elles se révèlent <strong>dans</strong> leur authenticité. La<br />

statuaire baroque doit donner une impression <strong>de</strong> légèreté <strong>de</strong> la matière. <strong>Le</strong> baroque cherche<br />

à annuler la sensation <strong>de</strong> poids. <strong>Le</strong>s draperies se soulèvent, et les statues sont capables, tout<br />

comme la jeune fille malicieuse <strong>de</strong>s fresques du château, <strong>de</strong> sourire avec une certaine<br />

légèreté.<br />

<strong>Le</strong>s statues sont ambivalentes, inquiétantes, mais <strong>dans</strong> cet univers mouvant du<br />

parc où tout, jusqu’aux êtres eux-mêmes, est <strong>de</strong> la nature du brouillard, elles représentent,<br />

<strong>de</strong> manière originale, quelque chose <strong>de</strong> rassurant : « <strong>Le</strong>s statues me rassuraient, me<br />

consolaient. Je puisais un réconfort <strong>dans</strong> leur masse minérale » (CO, 228). Cependant, le<br />

narrateur fait la différence entre les statues i<strong>de</strong>ntifiables, en référence à un personnage<br />

connu, et celles qui ne sont qu’image et n’ont pas le laisser-passer d’un mythe ou d’une<br />

allégorie. Ces <strong>de</strong>rnières sont plus angoissantes, ce sont <strong>de</strong>s « vies non accomplies »,<br />

immobilisées <strong>dans</strong> la pierre, tentées d’emprunter à <strong>de</strong>s hommes « la vitalité dont elles<br />

avaient besoin pour se réaliser » (CO, 231). <strong>Le</strong>s statues <strong>de</strong>meurent sur une frontière<br />

imprécise, à la lisière <strong>de</strong> l’existence et <strong>de</strong> la non-existence.<br />

De la même manière, la statue est simulacre <strong>de</strong>s dieux, en particulier <strong>de</strong>s dieux<br />

morts. Dans le parc, il y a une statue du Grand Pan, c'est-à-dire que le jardin est <strong>de</strong>venu, un<br />

peu comme une île, le refuge <strong>de</strong>s dieux qui n’ont plus cours, comme il est le refuge <strong>de</strong>s<br />

fantômes. Pan, étant divinité ambiguë <strong>de</strong> l’amour triomphant, entré en déclin en même<br />

temps que le mon<strong>de</strong> antique, s’accor<strong>de</strong> assez bien avec l’atmosphère crépusculaire du<br />

roman. La <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la statue tend à montrer à nouveau que « le Grand Pan n’est pas<br />

mort », le parc étant un <strong>de</strong>s lieux ultimes où il tente encore <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>r son ultime<br />

visage :<br />

Je connaissais le bosquet du Grand Pan. Souvent, j’allais m’asseoir au pied <strong>de</strong> la statue et je<br />

regardais <strong>dans</strong> un étroit miroir d’eau encadré <strong>de</strong> gazon le reflet <strong>de</strong> son sourire amical et <strong>de</strong> ses

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