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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

grotte conduit à une autre, « plus vaste et plus étrange », et la confusion <strong>de</strong>s règnes y est<br />

plus frappante. Il n’y a plus <strong>de</strong> réelles frontières entre le végétal, le minéral, l’animal et<br />

l’humain :<br />

<strong>Le</strong>s minerais et les métaux s’ordonnaient ici, non plus selon leur disposition originale, mais à<br />

l’imitation <strong>de</strong> formes animales, humaines ou végétales. Des têtes <strong>de</strong> femmes, faites <strong>de</strong> cailloux<br />

assemblés, décoraient les chapiteaux <strong>de</strong>s pilastres ; leurs yeux d’albâtre et d’onyx brillaient d’un<br />

éclat maléfique. Des chevelures <strong>de</strong> corail couronnaient <strong>de</strong>s visages <strong>de</strong> cuivre rouge, tatoués <strong>de</strong><br />

nacre. Des polypes tenaient lieu <strong>de</strong> mains, <strong>de</strong>s coquillages gonflaient <strong>de</strong>s seins stériles, <strong>de</strong>s valves<br />

étaient <strong>de</strong>s oreilles sour<strong>de</strong>s. Au milieu du plafond, troué d’une plaie déchiquetée, comme si elle<br />

avait ouvert le passage à un aérolithe, brillait un morceau <strong>de</strong> ciel bleu, naïf et innocent, qu’on eût<br />

dit égaré <strong>dans</strong> toute cette diablerie pierreuse où étincelait d’un éclat froid le fer <strong>de</strong>s météores. (CO,<br />

63)<br />

On remarque, <strong>dans</strong> ce passage saisissant, la présence d’un vocabulaire <strong>de</strong> la<br />

métamorphose, « à l’imitation <strong>de</strong> », « tenaient lieu <strong>de</strong> », « comme si », « on eût dit »,<br />

thème baroque par excellence, le mélange <strong>de</strong>s champs lexicaux, l’importance prise par les<br />

sujets, par les compléments du nom, « leurs yeux d’albâtre et d’onyx », « <strong>de</strong>s chevelures <strong>de</strong><br />

corail », « <strong>de</strong>s visages <strong>de</strong> cuivre rouge », les jeux d’opposition, « <strong>de</strong>s seins stériles », « <strong>de</strong>s<br />

oreilles sour<strong>de</strong>s », l’importance prise par les adjectifs. <strong>Le</strong> plafond, comme <strong>dans</strong> les églises<br />

baroques est crevé. Tout cela aboutit à l’idée <strong>de</strong> « diablerie », d’une imitation dangereuse<br />

cause d’angoisse parce que toutes ces associations insolites, ces reconstitutions incongrues<br />

<strong>de</strong> choses qui ne sont pas faites pour être réunies représente une subversion <strong>de</strong> la Création<br />

tel qu’on peut en voir <strong>de</strong>s exemples <strong>dans</strong> l’œuvre d’un Jérôme Bosch. La margravine,<br />

personnage qui surgit ensuite est elle aussi marquée par cette dangereuse confusion. Son<br />

corps incliné paraît « durci <strong>dans</strong> une tristesse <strong>de</strong> pierre » (CO, 65).<br />

<strong>Le</strong> baroque qui émerge fréquemment tend à s’incliner vers sa forme la plus<br />

tardive, plus crépusculaire, celle du rococo. Ce moment fascine <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> parce que<br />

c’est un moment <strong>de</strong> lisière. Glisser vers le rococo c’est glisser vers la pente inquiétante du<br />

<strong>fantastique</strong>, et cela ne va pas sans danger.<br />

2. <strong>Le</strong>s dangers du rococo.<br />

<strong>Le</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> transition, <strong>de</strong> passage d’une civilisation à une autre, nous l’avons<br />

vu, intéressent particulièrement l’historien <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>. Ce sont <strong>de</strong>s époques qui, comme<br />

celle durant laquelle il a lui-même vécu, souffrent d’inquiétu<strong>de</strong>. Un mon<strong>de</strong> s’effondre, un<br />

autre mon<strong>de</strong> tente <strong>de</strong> s’édifier sur les ruines <strong>de</strong> l’ancien, et cela ne va pas sans détresse et<br />

nostalgie. <strong>Le</strong> rococo, compris comme le <strong>de</strong>rnier visage du baroque, est peut-être plus que

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