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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>Le</strong>s personnages <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> n’ont pas besoin <strong>de</strong> formule magique.<br />

L’orfèvre Kalkeidos, <strong>dans</strong> La Ville <strong>de</strong> sable, est capable d’éprouver « la vie profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

pierres » (VS, 186), a « une aptitu<strong>de</strong> surprenante à découvrir le cœur mystérieux <strong>de</strong>s<br />

pierres » (VS, 190). <strong>Le</strong> narrateur <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne, alors que les<br />

voyageurs traversent un fleuve tumultueux, perçoit « l’haleine glacée » <strong>de</strong>s vagues, la<br />

« rage aveugle et verte » <strong>de</strong>s torrents (NATM, 129). Ces eaux, « sauvages et brutales »,<br />

portent en elles le souvenir <strong>de</strong> la « molle haleine froi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s glaciers invisibles » (NATM,<br />

138), et sont capables <strong>de</strong> jeu sournois : « L’eau était rageuse et verte, secouée <strong>de</strong> vagues<br />

courtes, qui s’entrecroisaient et jouaient à secouer l’embarcation » (NATM, 138). <strong>Le</strong><br />

narrateur perçoit aussi la présence d’un espace en creux, d’un gouffre qui fait <strong>de</strong> l’eau une<br />

porte ouverte sur un autre mon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s personnifications, les métaphores, ne sont pas là<br />

pour embellir le texte ou pour exprimer une psychologie <strong>de</strong>s éléments-miroirs. Elles<br />

révèlent une dimension surnaturelle du mon<strong>de</strong> qui n’est pas tel qu’il semble être. Durant<br />

son périple, le narrateur découvre un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus en plus vaste. Il décrit d’abord le<br />

désert comme un tableau :<br />

Je remarquai, désormais, la variété infinie et délicate <strong>de</strong>s gris, la sour<strong>de</strong> sonorité <strong>de</strong>s taches brunes<br />

posées par <strong>de</strong>s buissons bas, les craquelures bleutées <strong>de</strong>s citernes à sec, le rose vif <strong>de</strong> quelques<br />

oiseaux migrateurs processionnant <strong>dans</strong> le ciel vi<strong>de</strong>, d’un gris plus transparent que le gris du<br />

sable, mat et sourd. (NATM, 135)<br />

<strong>Le</strong> narrateur cite les différents éléments constitutifs du paysage : le sable du<br />

désert, les végétaux, les objets, les animaux, le ciel. Il est sensible à la variété <strong>de</strong>s couleurs,<br />

aux correspondances qui peuvent exister entre les sons et les couleurs, entre la terre et le<br />

ciel, entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s humains et le mon<strong>de</strong> animal. <strong>Le</strong> choix du verbe « processionner »<br />

donne à la fin <strong>de</strong> la phrase une tonalité religieuse. La suite <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription révèle d’autres<br />

dimensions <strong>de</strong> la nature, et le regard <strong>de</strong>vient visionnaire. Poursuivons la lecture :<br />

Si jamais j’ai pu pressentir ce que pouvait être le génie <strong>de</strong> ce désert dont le vi<strong>de</strong> infatigablement<br />

répété m’irritait, ce fut ce jour où j’ai perçu <strong>dans</strong> les yeux étoilés du lézard sa conversation à cœur<br />

perdu avec un surnaturel auquel je n’accédais pas. Et qu’il ne m’a été donné <strong>de</strong> voir qu’une fois<br />

<strong>de</strong> plus sur le visage <strong>de</strong> ce moine auquel nous avions rendu visite, quelques mois plus tard, <strong>dans</strong><br />

son ermitage <strong>de</strong>s cimes, stylite d’une aiguille rocheuse juché au milieu <strong>de</strong>s nuages, qui captait la<br />

pulsation magnétique <strong>de</strong>s orages <strong>de</strong>s hauteurs et en décryptait pour le commun <strong>de</strong>s hommes les<br />

messages divins. (NATM, 135-136)<br />

Au verbe remarquer succè<strong>de</strong> le verbe pressentir. Nous sommes passés à un autre<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> perception. <strong>Le</strong> mot « génie », porteur <strong>de</strong> <strong>fantastique</strong>, apparaît en italique. <strong>Marcel</strong><br />

<strong>Brion</strong> joue sur les différents sens du mot. <strong>Le</strong> génie peut désigner un caractère propre au<br />

désert, une tendance naturelle, ce qui fait sa particularité ou son originalité. Mais le latin<br />

genius désigne une divinité qui prési<strong>de</strong> aux naissances, la divinité tutélaire <strong>de</strong> chaque

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