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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>Brion</strong>, « est un <strong>de</strong>s phénomènes baroques les plus caractéristiques » 631 . <strong>Le</strong> visiteur ne<br />

comprend pas tout <strong>de</strong> suite en quoi les <strong>de</strong>ux tableaux, le portrait d’Adélaï<strong>de</strong> morte <strong>de</strong>puis<br />

longtemps, et la vanité, sont liés. Une phrase intéressante donne alors une portée nouvelle<br />

au roman : « Et je n’ai pas compris, à ce moment-là, que les chambres du second étage et<br />

peut-être la maison tout entière étaient, <strong>dans</strong> leur manière d’être personnelle, <strong>de</strong>s<br />

« vanités » (JV, 45). Cette phrase laisse entendre que le narrateur est lui-même entré, sans<br />

le savoir véritablement, <strong>dans</strong> une « vanité » constituée par la maison, ses pièces, ses<br />

chambres inoccupées, ses multiples objets. Dans cette maison ne vivent qu’une servante, le<br />

plus souvent absente, avec laquelle le visiteur n’a aucun échange, et Svend le doberman.<br />

<strong>Le</strong>s chambres, encombrées <strong>de</strong> vieux meubles, sont <strong>de</strong>venues une sorte <strong>de</strong> vaste grenier, et<br />

ont un « air d’ancienne mélancolie », <strong>de</strong> « désenchantement » ; les portes <strong>de</strong>s placards<br />

ouvrent sur « le nu, le béant », les tiroirs sont emplis d’objets « insensés », et le visiteur<br />

traverse <strong>de</strong>s « chambres d’où tout souvenir, tout écho d’une présence, s’était effacé <strong>de</strong>puis<br />

longtemps » (JV, 24). On peut donc considérer qu’il entre et progresse durant l’ensemble<br />

du roman, à l’intérieur d’une « vanité ».<br />

<strong>Le</strong>s pièces désertes du château <strong>de</strong> Château d’ombres constituent aussi, à leur<br />

manière, une « vanité ». <strong>Le</strong> narrateur est laissé seul <strong>dans</strong> le vestibule, couvert <strong>de</strong> « stucs<br />

verts entre les miroirs » (CO, 168), et <strong>de</strong> fresques au plafond. Un <strong>de</strong>s personnages<br />

représentés sur ces fresques lui fait signe :<br />

Une figure malicieuse, à <strong>de</strong>mi cachée <strong>de</strong>rrière une colonne du portique, me regardait en riant et<br />

mettait un doigt sur ses lèvres pour me recomman<strong>de</strong>r la discrétion (…). La mutine petite créature<br />

<strong>de</strong> la fresque se moquait <strong>de</strong> moi, visiblement, et <strong>de</strong> ma docilité. Peut-être, si j’étais resté seul un<br />

instant <strong>de</strong> plus, elle serait sortie tout à fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière sa colonne, et c’est elle qui m’aurait<br />

conduit. (CO, 172)<br />

Plus loin, il revoit la jeune fille, qui adresse cette fois un appel et <strong>de</strong>vient<br />

séductrice :<br />

L’appel <strong>de</strong> la jeune fille malicieuse était si tentant que je fis quelques pas vers elle ; ce fut le<br />

raisonnement qui m’arrêta. On n’entre pas <strong>dans</strong> une fresque. Un personnage peint est, plus que<br />

tout autre, inaccessible. Si j’obéissais à son geste, que trouverais-je <strong>de</strong> l’autre côté ? Je souris<br />

mélancoliquement à la séductrice et me détournai <strong>de</strong>s peintures. (CO, 180)<br />

<strong>Le</strong> narrateur essaie <strong>de</strong> se persua<strong>de</strong>r en faisant appel à la raison, mais en même<br />

temps il pose l’existence d’un « autre côté » et se trouve en réalité confronté à un péril. À<br />

la tentation <strong>de</strong>s peintures s’ajoute celle <strong>de</strong>s tapisseries :<br />

<strong>Le</strong>s tapisseries me proposaient <strong>de</strong>s flâneries insidieuses. Je m’arrêtai un instant <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s<br />

paysages qui essayaient <strong>de</strong> me retenir par <strong>de</strong>s forêts <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s lointains bleus et roses, ou<br />

631 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, L’œil, l’esprit et la main du peintre, op. cit., p.209.

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