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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

Je pensais que la musique les avait appelés et attirés hors <strong>de</strong>s espaces tristes où ils vivaient<br />

habituellement, et je me rappelai ce que l’on racontait <strong>de</strong>s ombres mélancoliques <strong>de</strong>s Enfers qui<br />

viennent boire <strong>dans</strong> le sang versé à leur intention quelques minutes <strong>de</strong> vie illusoire. (FTA, 71)<br />

<strong>Le</strong> rôle <strong>de</strong> la musique est <strong>de</strong> donner à ces ombres une « dose <strong>de</strong> vie » (FTA, 73).<br />

Il en est <strong>de</strong> même <strong>dans</strong> l’épiso<strong>de</strong> où la voix d’un homonculus parvient à faire <strong>dans</strong>er un<br />

golem <strong>de</strong>vant un public ravi et angoissé. La voix, comparable à la musique d’un orgue <strong>de</strong><br />

verre, remplit l’espace <strong>de</strong> la nuit « jusqu’aux extrémités du mon<strong>de</strong> » (FTA, 216). <strong>Le</strong><br />

concert <strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment insupportable, et il faut faire taire le chanteur, créature<br />

artificielle capable pourtant <strong>de</strong> produire une « musique divine ». On reproche au chanteur<br />

non sa nature artificielle mais « la béatitu<strong>de</strong> douloureuse dont on avait été étreint » (FTA,<br />

218). À la fin du roman, une messe nocturne est donnée, au village <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong>s Âmes,<br />

pour le repos <strong>de</strong>s âmes, composée par le maître Bastianelli. Venus <strong>de</strong>s horizons infinis, une<br />

hor<strong>de</strong> d’oiseaux se précipite <strong>dans</strong> l’église où ils se métamorphosent en âme en peine. Des<br />

musiciens fantômes jouent, accompagnés par les hurlements d’un chœur invisible. Cette<br />

musique est renforcée par une « confusion <strong>de</strong> tempêtes marines que les âmes <strong>de</strong>s hommes<br />

perdus en mer apportaient <strong>de</strong>s cités lointaines » (FTA, 239). Elle se double d’un<br />

« accompagnement cosmique », attise la souffrance <strong>de</strong>s âmes en peine, et le marquis<br />

savoure « ce spectacle <strong>de</strong> l’universelle épouvante humaine confrontée avec sa damnation »<br />

(FTA, 239). Ce n’est que lorsqu’elles n’enten<strong>de</strong>nt plus la musique <strong>de</strong> Bastianelli que les<br />

âmes retrouvent l’apaisement et disparaissent au loin.<br />

Dans Algues la musique apporte au contraire une forme <strong>de</strong> délivrance. <strong>Le</strong><br />

Musikant se souvient « d’un vieux château allemand dont sa musique, une nuit, avait<br />

apaisé la détresse <strong>de</strong>s fantômes » (A, 75). Invité à jouer <strong>dans</strong> un salon rococo, il voit entrer<br />

<strong>de</strong>s personnages « non invités » qui révèlent leur nature <strong>de</strong> fantômes. <strong>Le</strong> corps <strong>de</strong> l’un<br />

d’eux, « costume et chair (…) laissa voir, transparent, les tiroirs d’un cabinet marqueté<br />

<strong>de</strong>vant lequel il passait » (A, 75). <strong>Le</strong>s concerts durent tout l’été, jusqu’à ce que les âmes en<br />

peine ne viennent plus. Un jeu <strong>de</strong> questions-réponses commence alors : « Pourquoi ne<br />

vinrent-ils plus, à l’approche <strong>de</strong> l’automne, voudriez-vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ? dit le Musikant.<br />

« Comme si je pouvais vous répondre !... », ajoute-t-il avec humour, et il envisage <strong>de</strong>ux<br />

hypothèses. <strong>Le</strong>s fantômes se sont lassés <strong>de</strong> cette musique, ou la musique leur a permis<br />

enfin <strong>de</strong> se délivrer, <strong>de</strong> se détacher enfin <strong>de</strong> la terre, et <strong>de</strong> retourner <strong>dans</strong> leur « feu<br />

central ». Dans ce débat, l’idée <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong>s fantômes est considérée comme acquise,<br />

et n’est pas remise en cause. <strong>Le</strong> Musikant ne donne pas <strong>de</strong> réponse définitive, mais le<br />

narrateur, cessant <strong>de</strong> rapporter les propos du Musikant, va <strong>dans</strong> le sens du <strong>fantastique</strong>, en<br />

concluant au sujet <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> son interlocuteur : « Puissent les fantômes du château

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