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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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(…) ce bruit vague et confus faisait penser à <strong>de</strong>s échos d’instruments jouant très loin et <strong>dans</strong> une<br />

salle haute et profon<strong>de</strong> d’au-<strong>de</strong>ssous du sol. Cela ressemblait à ces sons discordants qui sortent <strong>de</strong><br />

la fosse d’orchestre pendant que les musiciens accor<strong>de</strong>nt leurs violons, leurs hautbois et leurs cors,<br />

étalant et malaxant la matière informe d’où va s’élever, pure et transparente, la symphonie, celletel-00699768,<br />

version 1 - 21 May 2012<br />

lointain <strong>de</strong>s cités. Parmi ces voix, il y a celle du vent qui « passe d’une ouverture à l’autre<br />

et se promène tout autour <strong>de</strong> la chambre, poussant <strong>de</strong> petits cris <strong>de</strong> souris, et, parfois, une<br />

bourrasque qui tombe à pic <strong>de</strong>s montagnes fait vibrer un mur dont elle tire un gémissement<br />

sonore » (NATM, 246). <strong>Le</strong> vent est décrit comme un véritable personnage qui entre <strong>dans</strong> un<br />

espace, le parcourt, et est capable <strong>de</strong> révéler la capacité <strong>de</strong> vibration d’un objet d’ordinaire<br />

inerte et silencieux. <strong>Le</strong>s oiseaux, associés au vent, ajoutent un élément à la fois visuel et<br />

sonore : <strong>Le</strong>s gémissements <strong>de</strong> plaisir <strong>de</strong>s grands oiseaux blancs, bercés par la bourrasque<br />

venue <strong>de</strong> la neige, ressemblaient au feulement <strong>de</strong>s génies <strong>de</strong>s aiguilles et <strong>de</strong>s glaciers »<br />

(NATM, 53). <strong>Le</strong>s mots « gémissement », « feulement », le participe passé « bercés »,<br />

donnent au paysage une dimension musicale. Une correspondance s’établit par<br />

comparaison avec l’univers invisible <strong>de</strong>s génies qui eux aussi ont une voix susceptible<br />

d’être entendue. <strong>Le</strong> lexique utilisé est d’une gran<strong>de</strong> richesse. Aux gémissements s’ajoutent<br />

les mugissements : « Un doux mugissement, <strong>de</strong>hors, passait sous la nuque courbée <strong>de</strong> la<br />

prairie » (NATM, 53), ainsi que le « crissement minuscule, comme la pointe d’un patin <strong>de</strong><br />

glace, <strong>de</strong> la course d’une étoile », ou encore « le bruit <strong>de</strong> barattement d’eaux mousseuses »<br />

(NATM, 78).<br />

Alors qu’il pénètre à l’intérieur d’un glacier, le narrateur perçoit la musique<br />

enfouie au cœur <strong>de</strong> la montagne : « <strong>Le</strong>s bourdonnements montant du profond glacier<br />

faisaient une musique agréable, <strong>de</strong> la même nature presque que le silence, et nous précédait<br />

tout le long du couloir », et le glacier est « comme un cœur véritable (…) dont les<br />

vibrations venaient à nous, d’infiniment loin, au ras du mur <strong>de</strong> glace où nos mains en<br />

captaient les pulsations » (NATM, 274). <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> paraît animé et soutenu par une<br />

vibration originelle, comme <strong>dans</strong> bon nombre <strong>de</strong> mythologies antiques. Petersen, parvenu<br />

<strong>dans</strong> une ville inconnue, reçoit révélation <strong>de</strong> cette musique première :<br />

Ces chambres où jamais la chaleur n’entre ni la lumière, délices <strong>de</strong> soie, <strong>de</strong> fruits et d’eaux,<br />

d’eaux invisibles qui coulent entre <strong>de</strong>s parois d’albâtre transparentes gravées <strong>de</strong> signes qui sont<br />

ceux <strong>de</strong> l’écriture <strong>de</strong> l’eau et racontent l’histoire <strong>de</strong>s grands fleuves du mon<strong>de</strong>. Et ces signes sont<br />

soutenus par une notation musicale qui reproduit la voix <strong>de</strong> ces fleuves et leurs langages si<br />

différents à l’oreille (…) (NATM, 118)<br />

Berg est lui aussi confronté à une même expérience. Il s’en va seul sur un glacier,<br />

avance à travers un chaos <strong>de</strong> blocs <strong>de</strong> glace et <strong>de</strong> crevasses. Il perçoit un bruit qui vient <strong>de</strong>s<br />

profon<strong>de</strong>urs du glacier, et cette perception est à l’origine d’une émotion d’ordre musical :

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