27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

137<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

ce que les Baroques italiens, en un mot, appelaient la meraviglia – » 246 . Il s’agit d’une<br />

reconstruction « incongrue, anormale, non-naturelle et contre-naturelle, <strong>de</strong>s choses qui<br />

n’étaient pas faites pour être réunies <strong>dans</strong> un même corps ». Cela constitue <strong>dans</strong> l’œuvre <strong>de</strong><br />

Jérôme Bosch une subversion <strong>de</strong> la Création. En inventant cet ermite, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> crée un<br />

monstre, quoique finalement très humain, formé par un assemblage <strong>de</strong> fragments animés et<br />

inanimés. C’est l’œuvre, affirme le nain conducteur du traîneau, <strong>de</strong> celui que saint<br />

Augustin appelait le « singe <strong>de</strong> Dieu » : « On peut imiter beaucoup <strong>de</strong> choses, dit-il avec<br />

force grimaces <strong>de</strong> son visage <strong>de</strong> babouin, sans quitter le territoire <strong>de</strong>s prescriptions<br />

divines : le Diable est le singe <strong>de</strong> Dieu » (EMM, 18). Métaphoriquement, le diable offre un<br />

miroir déformant à quiconque s’y regar<strong>de</strong>, et c’est le mon<strong>de</strong> entier qui se trouve dénaturé,<br />

soumis à <strong>de</strong>s déformations anamorphiques, à <strong>de</strong>s jeux d’optique :<br />

Sur les méplats <strong>de</strong>s joues, à la saillie ru<strong>de</strong> et nettement rasée du menton, plaquant sa verdure sur la<br />

vaste étendue du front, bougeaient <strong>de</strong>s aiguilles, <strong>dans</strong>aient <strong>de</strong>s feuilles, et quand l’ermite déplaçait<br />

sa tête, toute une forêt s’en allait à la dérive. (EMM, 33)<br />

L’association du masque et du miroir est redoutable. Ces <strong>de</strong>ux objets ambigus<br />

révèlent un univers double. La fonction du masque, ordinairement est <strong>de</strong> favoriser une<br />

i<strong>de</strong>ntification avec un autre personnage dont on porte les traits. Il permet d’emprunter une<br />

individualité et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un autre. Cette fonction n’est pas assurée ici puisque le miroir<br />

interdit cette fonction d’i<strong>de</strong>ntification ou permet une i<strong>de</strong>ntification avec <strong>de</strong>s reflets infinis.<br />

<strong>Le</strong> miroir ne renvoie pas une image mais <strong>de</strong>s images fuyantes. Cet objet, <strong>dans</strong> l’œuvre <strong>de</strong><br />

<strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> est l’objet inquiétant par excellence. Il recèle <strong>de</strong>s pièges <strong>dans</strong> la mesure où il<br />

met en relation <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s : « <strong>Le</strong>s miroirs, eux aussi, se compromettaient <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

plaisanteries suspectes, avec cette habileté qu’ils mettent à nous faire douter d’eux et <strong>de</strong><br />

nous-mêmes » (EMM, 19). <strong>Le</strong>s perspectives sont tout aussi suspectes <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Vaines<br />

Montagnes (chapitre VI). Deux univers coïnci<strong>de</strong>nt, non sans provoquer <strong>de</strong> l’angoisse, et le<br />

miroir « nous invite à faire connaissance avec <strong>de</strong>s choses qui nous semblent familières et<br />

que nous ignorons » (VM, 129). C’est là la définition même <strong>de</strong> l’Unheimlichkeit.<br />

Mais, au-<strong>de</strong>là du doute, la confrontation avec le miroir joue en définitive un rôle<br />

positif. Il impose un autre aspect <strong>de</strong> la réalité, et pousse à aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s apparences. Il<br />

emmène, <strong>dans</strong> L’Ermite au masque <strong>de</strong> miroir « vers d’étranges découvertes et<br />

modifications <strong>de</strong> nous-mêmes » et jusqu’au seuil d’une autre réalité.<br />

246 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, « Hommage au <strong>fantastique</strong> », <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Jardin <strong>de</strong>s arts, août 1957, p. 579 à 587.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!