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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

présent continue d’exprimer la conscience du narrateur qui fait <strong>de</strong>s efforts pour se<br />

souvenir : « si je me souviens bien », « si j’essaie <strong>de</strong> remémorer » dit-il. Ces efforts<br />

s’accompagnent <strong>de</strong> doutes : « je dois avoir quatre ou cinq ans », d’interrogations : « Je ma<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> aujourd’hui… »<br />

À ces présents viennent se mêler les temps du passé. Une fois l’événement revécu<br />

<strong>dans</strong> son actualité, le jeu <strong>de</strong>s temps a tendance à s’effectuer <strong>de</strong> manière normale, avec<br />

présence du passé simple, du passé composé, <strong>de</strong> l’imparfait. <strong>Le</strong>s plans sont à nouveau<br />

hiérarchisés, et les faits sont rangés <strong>dans</strong> un « autrefois » disjoint du « maintenant ». Il y a<br />

bien antériorité <strong>de</strong> l’événement, mais l’impression <strong>de</strong>meure d’un passé qui entrecroise ses<br />

fils avec le présent.<br />

Voici comment le passé simple revient habiter le récit : « Il n’y eut, si je me<br />

souviens bien, que cette unique matinée, où, après une heureuse récitation, Lipizza bondit<br />

jusqu’au but et me porta <strong>de</strong>vant la porte aux noires ferrures. Mes camara<strong>de</strong>s applaudirent.<br />

Il était d’usage entre nous <strong>de</strong> saluer, ainsi, sans aigre jalousie, la victoire d’un concurrent »<br />

(CPI, 75). <strong>Le</strong> passé simple est « la vision d’un procès « digéré » par le temps, débarrassé<br />

<strong>de</strong> toute l’épaisseur du vécu » 472 . Il marque le caractère événementiel et détache le fait <strong>de</strong>s<br />

circonstances. Il exprime une suite d’actions faisant abstraction <strong>de</strong> la durée. <strong>Le</strong> passage à<br />

l’imparfait « il était d’usage » permet une mise en relief <strong>de</strong>s événements. Ce temps installe<br />

un arrière-plan et une durée. D’une manière générale, l’imparfait est le temps du souvenir.<br />

Ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui sont rendus à nouveau présents, c’est la mémoire <strong>de</strong><br />

ces faits et l’épaisseur <strong>de</strong> ce qui a été éprouvé. <strong>Le</strong> récit est alors moins <strong>de</strong>stiné à enregistrer<br />

ce qui s’est passé qu’à retrouver <strong>de</strong>s sentiments et <strong>de</strong>s impressions toujours actuels ou<br />

réactualisables.<br />

<strong>Le</strong> plus-que-parfait vient s’ajouter à ce système temporel. Il évoque un passé<br />

encore plus ancien : « C’est un Lipizza, m’a dit ma mère un jour où l’on m’avait permis <strong>de</strong><br />

caresser sa croupe si lisse, un peu crémeuse au toucher » (CPI, 74). L’impression et les<br />

sensations éprouvées sont fortes car il s’agit d’un « beau cheval blanc en porcelaine ». <strong>Le</strong>s<br />

<strong>de</strong>moiselles Sabatier, elles aussi, s’inscrivent <strong>dans</strong> un temps qui s’approfondit : « Ayant<br />

pas mal voyagé, elles avaient engrangé <strong>dans</strong> leur mémoire un grand nombre <strong>de</strong> souvenirs<br />

disparates et d’images dont le souvenir pathétique avait déformé les détails » (CPI, 75-76).<br />

Enfin, le conditionnel ouvre les portes <strong>de</strong> l’imaginaire :<br />

Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aujourd’hui, s’il n’y a pas eu un jour – ou une nuit –, tout <strong>de</strong> même, où je n’ai pas<br />

essayé <strong>de</strong> me décrire à moi-même ce que serait l’intérieur du château, si la porte s’ouvrait, et ce<br />

472 Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p.291-292.

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