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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

Pour affaiblir la valeur assertive <strong>de</strong> l’énoncé, le narrateur utilise l’interrogation,<br />

mais il recourt aussi à d’autres mo<strong>de</strong>s verbaux. L’indicatif du départ, « j’étais <strong>de</strong>bout »<br />

situe l’action sur le plan <strong>de</strong>s faits constatés, puis il y a recours au conditionnel, mo<strong>de</strong> non<br />

certifiant, qui présente l’action comme une éventualité. Ce mo<strong>de</strong> ne sert pas seulement à<br />

présenter les faits sous l’angle <strong>de</strong> l’éventualité. Il donne <strong>de</strong>s clés d’interprétation : « si nous<br />

avions habité le même mon<strong>de</strong> » pose l’existence d’un mon<strong>de</strong> différent, « j’aurais pu sentir<br />

son haleine » donne vie à un fantôme. <strong>Le</strong> conditionnel apporte aussi une intensité<br />

dramatique : « je ne la reverrais jamais », exprime la peur <strong>de</strong> perdre une personne chère. Il<br />

permet enfin d’exprimer l’incertitu<strong>de</strong> quant à la direction que va prendre l’aventure : « qui<br />

m’aurait emmené…où ? »<br />

La ville-mirage décrite <strong>dans</strong> Nous avons traversé la montagne suscite le même<br />

type d’interrogation :<br />

La ville tout entière flottait <strong>dans</strong> une buée épaisse, pas désagréable, qui avait l’o<strong>de</strong>ur et la couleur<br />

du safran. De loin, on aurait pu croire à un mirage, si le parfum n’avait été si fort et si pressant.<br />

Quoique l’air fût parfaitement immobile (…) les tours et les coupoles qui dépassaient <strong>de</strong> la vague<br />

la plus lour<strong>de</strong> du brouillard, semblaient se balancer (NATM, 22).<br />

L’expression « on aurait pu croire à un mirage » impose <strong>de</strong> croire à une existence<br />

réelle. <strong>Le</strong> narrateur joue avec l’opposition <strong>de</strong> l’être et du paraître, donne un tour conjectural<br />

qui apparaît <strong>dans</strong> l’usage fréquent du verbe sembler, ou du « il me semble » plus subjectif.<br />

<strong>Le</strong> narrateur est supplanté par l’impersonnel « on » que l’on retrouve plus loin, « eût-on<br />

dit », modalisateur qui suggère l’incertitu<strong>de</strong> et permet l’effacement du spectateur au profit<br />

du phénomène décrit. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> fait grand usage <strong>de</strong>s modalisateurs comparatifs que<br />

nous avons déjà plusieurs fois rencontrés 266 . À <strong>de</strong>s comparatifs tels que « comme »,<br />

« comme si » s’ajoutent « pareil à », « semblable à » qui contribuent à placer le récit <strong>dans</strong><br />

l’ambiguïté.<br />

Il nous reste à évoquer un <strong>de</strong>rnier procédé très fréquent <strong>dans</strong> les romans :<br />

l’utilisation <strong>de</strong>s parenthèses et <strong>de</strong>s tirets, souvent associés à <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> suspension, sur<br />

lesquels nous allons revenir, qui montrent que l’interrogation s’installe <strong>dans</strong> la durée. La<br />

parenthèse intercale <strong>dans</strong> la phrase une indication, une réflexion non indispensable par<br />

rapport à la marche <strong>de</strong> l’histoire. <strong>Le</strong>s tirets servent au même usage. Il s’agit d’isoler une<br />

indication, et ceci est très utile <strong>dans</strong> le récit <strong>fantastique</strong>. Ce sont autant <strong>de</strong> marques <strong>de</strong><br />

subjectivité. Dans un long monologue, parenthèses et tirets introduisent une rupture, un<br />

changement <strong>de</strong> rythme, et sollicitent l’attention du lecteur. Ils donnent au lecteur<br />

266 La littérature <strong>fantastique</strong>, nous dit Jean Bellemin-Noël <strong>dans</strong> « Des formes <strong>fantastique</strong>s aux thèmes<br />

fantasmatiques », « fait grand usage <strong>de</strong> la comparaison », op. cit., p.112.

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