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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

récit. Des séquences narratives sont liées à <strong>de</strong>s souvenirs lointains, à la chronique <strong>de</strong>s jours<br />

enfouis, et elles posent la gran<strong>de</strong> question : que savons-nous au juste <strong>de</strong> l’existence<br />

humaine ? « Quelle histoire ? Je n’arrive pas à me la rappeler, mais, en revanche, je me<br />

souviens du paysage (…) » (CPI, 21-22), avoue le narrateur du Château <strong>de</strong> la princesse<br />

Ilse, et il ajoute plus loin : « Ma mémoire n’a rien retenu <strong>de</strong> cette pièce <strong>dans</strong> laquelle je suis<br />

venu si souvent pendant mes années d’enfance » (CPI, 92). <strong>Le</strong>s romans composent <strong>de</strong>s<br />

tapisseries <strong>de</strong> souvenirs où viennent trouver place les différents personnages : « Galbrett,<br />

Palling, Carmela, le clown Boneca, <strong>de</strong>meuraient <strong>dans</strong> ma mémoire comme les figures<br />

d’une tapisserie ancienne, dont les mains s’entrelacent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> branches<br />

épineuses » (E, 79-80).<br />

Cette dominante rétrospective explique le choix <strong>de</strong> ces moments privilégiés que<br />

sont la fin <strong>de</strong> la journée, le crépuscule, moments où reviennent confusément en mémoire<br />

les événements <strong>de</strong> la journée. Dans <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse Ilse, les souvenirs<br />

personnels se mêlent à une mémoire plus ancienne :<br />

Ilse et la princesse, accoudées à la balustra<strong>de</strong> <strong>de</strong> la terrasse, regardaient le couchant au bout d’une<br />

percée à travers les sapins. Autour d’elles s’appesantissait ce silence intérieur qui nous vient aux<br />

fins d’après-midi et qui nous invite à nous taire, peut-être en souvenir <strong>de</strong> ce que, enfants, nous<br />

nous attristions <strong>de</strong> ce que cette journée <strong>de</strong> vacances disparût déjà <strong>dans</strong> le passé, ou parce que la<br />

très vieille mémoire ancestrale transforme en simple mélancolie la crainte et le désespoir d’une<br />

fuite sans retour du soleil, l’anticipation d’une mort sans résurrection. (CPI, 101)<br />

À ces fins d’après-midi s’ajoute l’automne, saison <strong>de</strong> l’engrangement et <strong>de</strong> la<br />

mémoire. Ce sont <strong>de</strong>s moments privilégiés où circulent <strong>de</strong>s images dont certaines peuvent<br />

<strong>de</strong>venir obsessionnelles.<br />

On peut parler <strong>de</strong> labyrinthe parce que la mémoire s’étage à différents niveaux<br />

qui se mélangent <strong>dans</strong> le récit : le niveau du passé individuel, celui d’un passé collectif et<br />

d’une mémoire archaïque. <strong>Le</strong> narrateur est enregistreur <strong>de</strong> ce que lui propose sa propre<br />

enfance : événements, émotions, rêves anciens. Tout cela est susceptible à tout moment <strong>de</strong><br />

resurgir. Il suffit d’un signe apparemment anodin, d’une émotion soudaine, d’une sensation<br />

imprévue et, du fond <strong>de</strong> la mémoire <strong>de</strong> l’être adulte, se lèvent <strong>de</strong>s images qui illustrent les<br />

composantes premières d’une expérience : « <strong>Le</strong>s mots, clown blanc, réveillèrent en moi <strong>de</strong><br />

vieux échos (…) » dit le narrateur <strong>de</strong> Villa <strong>de</strong>s Hasards (21).<br />

Il existe un texte <strong>de</strong> Karl Philipp Moritz, un <strong>de</strong>s précurseurs du romantisme<br />

allemand, qui met en jeu ces souvenirs 463 . <strong>Le</strong> narrateur du roman Andreas Hartknopf décrit<br />

463 Ce texte se trouve <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> romantisme allemand, <strong>Le</strong>s Cahiers du sud, Marseilles, Rivages, 1949, p.440 à<br />

442. Albert Béguin consacre un chapitre à K.P.Moritz <strong>dans</strong> L’âme romantique et le rêve, op. cit., p.21 à 45,

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