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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

chose : les vêtements <strong>de</strong>s fonctionnaires infernaux sont couleur <strong>de</strong> brouillard, le fleuve est<br />

gris, la plaine traversée par Sir John est grise et les contours <strong>de</strong>s collines et <strong>de</strong>s forêts<br />

dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la brume. Au fur et à mesure que Sir John progresse, la matière<br />

perd <strong>de</strong> sa substance. <strong>Le</strong> sol, le brouillard, l’obscurité « grisâtre », le silence, la poussière<br />

échangent leurs propriétés. En d’autres termes, nous entrons <strong>dans</strong> un univers <strong>de</strong> la<br />

confusion où il est difficile <strong>de</strong> discriminer l’univers végétal et l’univers humain, la vie et la<br />

mort, le jour et la nuit, le ciel et le roc, le corps et l’ombre :<br />

Je brisai quelques plantes au passage, provoquant <strong>de</strong>s gémissements brefs et assourdis, comme si<br />

les pavots, en mourant, regrettaient la vie qui leur avait été prêtée (…). Que pouvaient signifier les<br />

mots mort et vie <strong>dans</strong> le pays où je cheminais ? (FTA, 51)<br />

<strong>Le</strong> voyage <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> Sir John et <strong>de</strong> la jeune fille est cheminement <strong>dans</strong> le<br />

labyrinthe vaste et déconcertant <strong>de</strong>s enfers. Sir John précise qu’ils ne parcourent qu’une<br />

partie <strong>de</strong> ce labyrinthe, il ne sait pas « combien <strong>de</strong> provinces » il est amené à fréquenter, et<br />

son expérience est celle du chercheur novice et ignorant : « Je m’étais égaré <strong>dans</strong> une<br />

ruelle étroite fermée en cul-<strong>de</strong>-sac : un haut mur où était peinte une fausse porte me barra<br />

le passage. Je revins sur mes pas et m’engageai <strong>dans</strong> plusieurs impasses closes <strong>de</strong> la même<br />

manière : un labyrinthe compliqué <strong>de</strong> ruines médiévales » (FTA, 56). Et plus loin il ajoute :<br />

« Un seul chemin pouvait nous amener à la « sortie ». La route suivie est jalonnée<br />

d’épreuves <strong>de</strong>stinées à perdre les protagonistes : falaises à escala<strong>de</strong>r, enfermement, vent<br />

violent, séparation, confrontation à un espace délirant à la Piranèse :<br />

Après avoir dévalé la pente <strong>de</strong> la montagne nous sommes tombés, littéralement, au milieu d’une<br />

vaste place, une esplana<strong>de</strong> entourée d’édifices énormes, palais, collèges, églises, couvents, si<br />

étroitement adhérents les uns aux autres qu’aucune rue, aucune ruelle n’était visible. Une grosse<br />

lune <strong>de</strong> théâtre fondait mollement jusqu’au sol où elle se perdait en ruisseaux laiteux. Toutes ces<br />

maisons étaient brutalement closes – on eût dit que les portes et les volets <strong>de</strong>s fenêtres n’avaient<br />

plus été ouverts <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles. Un petit porche, découpé en <strong>de</strong>nt <strong>de</strong> scie, laissait voir un creux<br />

sombre, plus noir que le reste <strong>de</strong> la nuit. Très loin, au fond d’un monument, aussi grand qu’une<br />

cathédrale, quelques cierges brillaient sur un autel. <strong>Le</strong>s chapelles <strong>de</strong>s bas-côtés, au contraire,<br />

gardaient l’obscurité monstrueuse <strong>de</strong>s grottes. Au fond du chœur <strong>de</strong> hautes statues blafar<strong>de</strong>s<br />

racontaient, à grands gestes, <strong>de</strong>s histoires insensées. Sous nos pieds s’étalait un parement <strong>de</strong><br />

mosaïques multicolores où bougeaient <strong>de</strong>s monstres marins. (FTA, 59-60)<br />

Comme chez Piranèse, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> mêle <strong>de</strong>s édifices divers et les rend<br />

« adhérents les uns aux autres ». Il travaille sur les perspectives, évoquant alternativement<br />

l’immensité, les « édifices énormes », un « monument aussi grand qu’une cathédrale », et<br />

la petitesse, un « petit porche », les « chapelles <strong>de</strong>s bas-côtés ». Il ajoute <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong><br />

profon<strong>de</strong>ur en utilisant en particulier les opérateurs topologiques : « très loin », « au fond<br />

<strong>de</strong> ». Il amplifie les contrastes lumineux : une « lune <strong>de</strong> théâtre » éclaire la scène, les

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