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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

troisième temps qu’intervient le visuel. Mais la vision reste parcellaire. La présence<br />

d’ « immenses paquebots blancs et or », <strong>de</strong> « trois-mâts » donne une impression <strong>de</strong> lointain<br />

et assimile la mort au voyage.<br />

Tel qu’il est décrit, l’univers souterrain rappelle les gravures et les peintures<br />

<strong>fantastique</strong>s que <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> aimait regar<strong>de</strong>r. La présence du vaisseau fait penser au<br />

navire étonnant <strong>de</strong> Jacob Isaac Swanenburgh qui transporte sa cargaison <strong>de</strong> damnés, dont<br />

certains ne trouvent pas place <strong>dans</strong> l’embarcation et sont précipités par-<strong>de</strong>ssus bord.<br />

D’autres infortunés dégringolent d’une passerelle plus lointaine. Chez <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> la<br />

foule est tout autant cohue. <strong>Le</strong>s âmes en peine se précipitent, sans que quiconque ne pense<br />

à tendre la main au plus faible. Chacun se hâte vers le premier bateau. Nous retrouvons<br />

<strong>dans</strong> le texte comme chez le peintre l’idée <strong>de</strong> chute : « Parfois l’un d’eux, moins adroit ou<br />

moins fort, lâchait la cor<strong>de</strong> et tombait <strong>dans</strong> le fleuve » (FTA, 47). Lorsque le bateau a reçu<br />

son chargement <strong>de</strong> passagers, il s’en va <strong>dans</strong> le brouillard.<br />

La présence supposée d’un vaste espace qui se déploie autour d’une vaste mer<br />

intérieure fait penser à Jules Verne 438 et aux eaux-fortes <strong>de</strong> John Martin. Dans ces<br />

gravures, d’étroites failles font communiquer le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vivants et le mon<strong>de</strong> souterrain,<br />

l’un et l’autre mon<strong>de</strong> étant séparés par une épaisse coupole <strong>de</strong> pierre. <strong>Le</strong> royaume<br />

souterrain est d’abord une très gran<strong>de</strong> salle, close, avec les perspectives d’une mer pouvant<br />

être agitée d’eaux tumultueuses. La salle relève <strong>de</strong> la prison et du décor d’opéra, éclairée<br />

par un <strong>de</strong>mi-jour inquiétant. Des grottes et galeries sont susceptibles <strong>de</strong> contenir une large<br />

part, sinon la totalité, <strong>de</strong> l’humanité. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> s’appuie sur ces représentations mais<br />

utilise les atouts qu’offre l’écriture. Il ajoute <strong>de</strong>s éléments sonores : Sir John entend <strong>de</strong>s<br />

appels, <strong>de</strong>s gémissements, les enfants « pleurent doucement » (FTA, 48), les bateau lancent<br />

<strong>de</strong> longs coups <strong>de</strong> sirène, le capitaine crie <strong>dans</strong> son porte-voix. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>scriptif permet<br />

d’installer une profusion d’objets : embarcations, cloches, chaînons, cabestans. Il y a aussi<br />

présence <strong>de</strong> magasins, et l’ensemble s’élargit aux dimensions d’une ville « avec ses hôtels<br />

<strong>de</strong> négociants, ses estaminets, ses boutiques désertées » (FTA, 48). Comme <strong>dans</strong> les<br />

Carceri <strong>de</strong> Piranèse, les architectures sont animées <strong>de</strong> la présence d’une humanité tragique.<br />

L’homme est prisonnier, au beau milieu d’un cachot-labyrinthe, captif <strong>de</strong> lui-même et <strong>de</strong><br />

son <strong>de</strong>stin, confronté à un mon<strong>de</strong> où il est peu <strong>de</strong> chose 439 .<br />

L’image du brouillard fait apparaître un mon<strong>de</strong> où domine la couleur grise. Mais<br />

le brouillard n’affecte pas seulement la lumière. Il impose sa substance même à toute<br />

438 Jules Verne, Voyage au centre <strong>de</strong> la terre, Montrouge, <strong>Le</strong> Livre <strong>de</strong> Poche, 1982, chapitre XXX, p. 233 à<br />

245.<br />

439 Voir illustration 16.

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