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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

que le passage est toujours possible d’une dimension à l’autre. Ils se tiennent, pour<br />

reprendre l’expression <strong>de</strong> Ernst Jünger « sur les falaises » 704 .<br />

<strong>Le</strong> passage est une notion-clé, cache une obsession : tenter d’établir un dialogue<br />

entre les forces <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>-ci et les forces d’un autre mon<strong>de</strong>. L’autre mon<strong>de</strong> reste vague,<br />

indécis, fragmentaire, mais il y a toujours cette notion du passage au cœur <strong>de</strong> l’imaginaire<br />

brionien. Elle donne le sentiment que les personnages réels ou surnaturels ont la possibilité<br />

<strong>de</strong> traverser le mon<strong>de</strong>, l’espace, le temps, d’emprunter <strong>de</strong>s chemins qui vont les amener à<br />

d’autres paysages, géographiques et spirituels. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> se situe <strong>dans</strong> le sillage <strong>de</strong><br />

toute une littérature, à commencer par celle d’Homère, qui s’appuie sur l’idée qu’il existe<br />

toujours <strong>de</strong>s passages et que les voyages ne s’arrêtent jamais. Cette tradition vagabon<strong>de</strong> du<br />

franchissement <strong>de</strong>s seuils est une <strong>de</strong>s structures fondamentales <strong>de</strong> notre culture.<br />

C’est <strong>dans</strong> les déplacements que l’homme se forme et qu’il peut avoir soupçon <strong>de</strong><br />

toutes les dimensions du mon<strong>de</strong>. En fréquentant d’autres espaces et d’autres temps, le<br />

héros se dépouille <strong>de</strong> ce qui pouvait apparaître comme une personnalité véritable, et il va y<br />

avoir tout au long du roman une usure <strong>de</strong> ce moi premier au-<strong>de</strong>là duquel une vérité<br />

différente va se construire, ainsi qu’une nouvelle communication avec le mon<strong>de</strong>. La<br />

métamorphose <strong>de</strong> l’être, idée venue tout droit <strong>de</strong> la sagesse goethéenne, est un <strong>de</strong>s enjeux<br />

essentiels du <strong>fantastique</strong> brionien.<br />

Nous sommes <strong>dans</strong> une situation historique particulière. <strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> exprime<br />

<strong>de</strong>s malaises profonds. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> vit à un moment <strong>de</strong> bouleversements historiques qui<br />

l’ont marqué <strong>dans</strong> sa chair et <strong>dans</strong> son esprit. Si l’on met <strong>de</strong> côté cette idée optimiste <strong>de</strong><br />

passage, <strong>de</strong> métamorphose, <strong>dans</strong> une civilisation contemporaine hantée par les conflits,<br />

c’est la mort qui s’installe, les forces <strong>de</strong> dislocation, les périls qui menacent l’âme, défont<br />

l’être et le ren<strong>de</strong>nt fragile <strong>de</strong>vant les désordres que la vie, la nature ou l’histoire<br />

accumulent. Comment chasser les ombres <strong>de</strong> la mort et <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction ? Joyce dit :<br />

« L’histoire est un cauchemar dont je cherche à m’éveiller ». Cela signifie sans doute que<br />

l’histoire telle qu’elle est conçue ordinairement, <strong>dans</strong> le temps rectiligne, linéaire, <strong>dans</strong> la<br />

succession <strong>de</strong>s événements a une moindre place, <strong>dans</strong> la mesure où il est possible <strong>de</strong> mettre<br />

en face d’elle la force du rêve et du songe. <strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> affirme la prééminence du songe<br />

au cœur même <strong>de</strong> la vie, et apparaît comme un possible recours <strong>dans</strong> une civilisation livrée<br />

704 Ernst Jünger, Sur les falaises <strong>de</strong> marbre, Paris, Gallimard, 1942. Auf <strong>de</strong>n Marmorklippen : le mot<br />

allemand Klippe suggère <strong>de</strong>s falaises au bord <strong>de</strong> la mer ou <strong>dans</strong> la mer, introduit l’idée <strong>de</strong> vastes espaces à<br />

l’arrière et au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> soi, et contient l’idée <strong>de</strong> danger.

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