27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

94<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

d’en bas », les « maîtres d’en bas », les « maîtres du jeu »… Ce mon<strong>de</strong> obéit à une<br />

spatialité et à une temporalité différentes. Il s’agit d’un espace et d’un temps « où les<br />

chiffres <strong>de</strong>s hommes n’ont plus d’effet » (FTA, 45).<br />

Merlin, <strong>dans</strong> L’Enchanteur, est aussi un personnage <strong>de</strong>s confins. Il revit hors <strong>de</strong><br />

son cadre médiéval. Lui aussi est un personnage <strong>de</strong>s frontières. Traditionnellement il se<br />

situe entre le bien et le mal puisqu’il est né du diable et d’une vierge, entre la vie et la mort.<br />

Il incarne, dit Yves Vadé, « <strong>dans</strong> les temps mo<strong>de</strong>rnes l’énigme <strong>de</strong> l’Histoire et du<br />

<strong>de</strong>venir » 183 . Il est enchanteur enfin, subissant et provoquant diverses métamorphoses.<br />

C’est ce mot d’enchanteur que <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> retient pour le titre <strong>de</strong> son roman.<br />

Merlin est un être qui s’avance masqué. Il est d’abord un homme ordinaire, vêtu<br />

d’un par<strong>de</strong>ssus clair et qui habite <strong>dans</strong> une banale chambre d’hôtel. Il est aussi illusionniste<br />

et prestidigitateur au cirque Aislinn et prend alors le nom <strong>de</strong> Tintagel, maître <strong>de</strong> l’illusion,<br />

mais qui dissimule sa véritable puissance sous une apparence <strong>de</strong> virtuosité. Merlin est enfin<br />

(non plus Tintagel ou M. Merlin) l’autre versant du même personnage. C’est le « maître du<br />

jeu » (E, 19), celui qui comman<strong>de</strong> aux éléments et aux esprits qu’il lui arrive <strong>de</strong> convoquer<br />

<strong>dans</strong> sa chambre. Pour le « Maître » (avec majuscules, E, 19), le temps et l’espace n’ont<br />

pas <strong>de</strong> cloisons, et rien n’est impossible. Loin d’être simple illusionniste, il est alors<br />

magicien, « <strong>de</strong>mi-dieu », « Enchanteur » capable <strong>de</strong> bienveillance et <strong>de</strong> compassion,<br />

capable aussi <strong>de</strong> se transformer en un être redoutable qui ne peut s’empêcher d’avoir<br />

relation avec les démons.<br />

Viviane a elle aussi <strong>dans</strong> le roman un double visage. Sous l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong><br />

Brocélian<strong>de</strong>, elle dit la bonne aventure <strong>dans</strong> une baraque <strong>de</strong> foire 184 . Tout comme Merlin,<br />

elle possè<strong>de</strong> une personnalité secrète :<br />

(…) elle était beaucoup plus elle-même quand elle soulevait, seulement par son passage, une<br />

tempête immobile et muette parmi les arbres que nous rencontrions. Pourquoi prenait-elle la peine<br />

<strong>de</strong> poser ses pieds sur le sol, alors qu’elle aurait pu si agréablement flotter <strong>dans</strong> l’air, au niveau<br />

<strong>de</strong>s plus hautes branches ? (E, 115)<br />

183 Yves Vadé, <strong>dans</strong> le Dictionnaire <strong>de</strong>s mythes littéraires, op. cit., p.1039.<br />

184 On notera que les noms choisis, Merlin, Viviane, Tintagel, Brocélian<strong>de</strong>, appartiennent à la « Matière <strong>de</strong><br />

Bretagne ». Voir à ce sujet La légen<strong>de</strong> arthurienne, Paris, Robert Laffont, 1989. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> mélange <strong>de</strong>s<br />

noms <strong>de</strong> personnages, Merlin et Viviane, à <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> lieux, Tintagel et Brocélian<strong>de</strong>. Tintagel est le château<br />

où a été conçu le roi Arthur. Jean Markale écrit, <strong>dans</strong> Merlin l’Enchanteur, Paris, Albin Michel, 1992, p.249,<br />

que Tintagel est la « célèbre forteresse <strong>de</strong> Cornwall, où la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Tristan et Yseult place la rési<strong>de</strong>nce du<br />

roi Mark ». Brocélian<strong>de</strong> est une forêt <strong>de</strong> Bretagne. Dans cette association, il est possible <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>s symboles,<br />

château et forêt se présentant comme <strong>de</strong>ux figures complémentaires. La forêt, lieu très brionien, est comme<br />

l’explique <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> lui-même, <strong>dans</strong> Art <strong>fantastique</strong>, op. cit., p.10, « l’endroit où l’on se perd,<br />

matériellement, moralement, la région qu’il faut traverser, selon les romans <strong>de</strong> chevalerie, pour atteindre le<br />

« château ». <strong>Le</strong> château, en revanche, lieu tout aussi capital chez <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, signifie la sécurité, l’ordre, la<br />

protection, « le formel contre l’informe, l’immuable contre le perpétuel mouvant ». Entre ces <strong>de</strong>ux lieux peut<br />

s’accomplir un « voyage initiatique ».

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!