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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

tout près d’un gouffre que le prince avait la sensation vertigineuse <strong>de</strong> se tenir <strong>de</strong>bout, captivé par<br />

le pernicieux désir <strong>de</strong> se jeter <strong>dans</strong> ce néant (MG, 157-158)<br />

De même qu’interviennent <strong>de</strong>s fantômes d’êtres humains, <strong>de</strong> même il existe <strong>de</strong>s<br />

fantômes d’édifices. Des « espaces inquiets » s’ouvrent alors, espaces vacants générateurs<br />

d’angoisse et <strong>de</strong> vertige, livrés aux démons. <strong>Le</strong>s voyageurs <strong>de</strong> Nous avons traversé la<br />

montagne entrent au début du roman <strong>dans</strong> une ville <strong>fantastique</strong> qui se présente comme un<br />

mirage et prend réalité. Cette ville est abandonnée ; la population s’est éloignée, laissant<br />

les boutiques, les logis, les places vi<strong>de</strong>s. « L’inexplicable abandon <strong>de</strong> toute cette ville à <strong>de</strong>s<br />

visiteurs moins scrupuleux que nous nous causait un peu d’inquiétu<strong>de</strong> ; cela ressemblait à<br />

un piège » (NATM, 23). <strong>Le</strong>s voyageurs s’installent <strong>dans</strong> une maison inoccupée, et le<br />

len<strong>de</strong>main matin, la ville fantôme se peuple à nouveau <strong>de</strong> présences « sortant <strong>de</strong> la<br />

dimension secrète où ils s’étaient réfugiés » (NATM, 29). <strong>Le</strong> château, exploré par le<br />

narrateur <strong>de</strong> Château d’ombres est aussi un espace vacant, inhabité. On voit alors se mettre<br />

en place non pas un <strong>fantastique</strong> <strong>de</strong> la confrontation, <strong>de</strong> la présence insolite, mais un<br />

<strong>fantastique</strong> du vi<strong>de</strong>, très raffiné. La présence <strong>de</strong> personnages <strong>dans</strong> ce château est supposée<br />

et à l’intérieur <strong>de</strong> la <strong>de</strong>meure règne une Stimmung particulière : « L’atmosphère était<br />

étouffante et humi<strong>de</strong> comme <strong>dans</strong> les maisons qui ont été longtemps inhabitées » (CO,<br />

168). Une lumière filtre à travers les volets fermés, ce qui fait que la visite du château se<br />

déroule <strong>dans</strong> la pénombre. La <strong>de</strong>meure est vaste et « <strong>de</strong>shabitée », et pourtant <strong>de</strong>s<br />

présences sont « <strong>de</strong>vinées » par le narrateur, par l’intermédiaire <strong>de</strong>s objets. Ce sont eux qui<br />

regar<strong>de</strong>nt et ressentent <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong> :<br />

Je <strong>de</strong>vinai alors que ces objets qui m’avaient semblé privés <strong>de</strong> vie étaient en réalité à <strong>de</strong>mi<br />

somnolents, qu’ils m’observaient, sans malveillance, toutefois, et que ma présence <strong>dans</strong> cette<br />

<strong>de</strong>meure communiquait à tous les êtres inanimés qui l’habitaient une certaine inquiétu<strong>de</strong>. (CO,<br />

168)<br />

Ce qui est intéressant, c’est l’évolution <strong>de</strong>s sentiments du narrateur au fur et à<br />

mesure qu’il entre <strong>dans</strong> le château. Il hésite tout d’abord à s’engager sur les marches<br />

d’escalier, « j’éprouvais même une sorte <strong>de</strong> timidité, <strong>de</strong> crainte enfantine » dit-il (CO,<br />

130). À cette hésitation première s’ajoutent d’autres sentiments : le manque <strong>de</strong> confiance :<br />

« <strong>Le</strong> dallage (…) n’était guère plus digne <strong>de</strong> confiance qu’un marais tremblant » (CO,<br />

170), l’accablement : « mais le silence, <strong>dans</strong> le clair-obscur m’accablait », la joie <strong>de</strong> se<br />

retrouver au milieu <strong>de</strong> beaux objets : « j’avais fini par éprouver une certaine joie paisible<br />

en compagnie <strong>de</strong> ces choses calmes et reposantes » (CO, 171), la déception <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir les<br />

quitter lorsque Marianne lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> partir. L’entrée <strong>dans</strong> la chambre <strong>de</strong> la jeune fille<br />

brune dont l’image a déjà été vue <strong>dans</strong> le parc constitue le point d’aboutissement <strong>de</strong> cette<br />

visite. À ce moment-là les sensations <strong>de</strong>viennent différentes, propres au <strong>fantastique</strong>.

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