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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

grise vor snê und ouch vor îse… » (MG, 158) 684 . <strong>Le</strong>s vers chantés évoquent une forêt<br />

enneigée. Erik n’a jamais lu ni entendu ces vers. Et pourtant il parvient non seulement à les<br />

chanter, mais à faire apparaître la forêt elle-même <strong>de</strong>vant les yeux du prince :<br />

À travers les lignes du chant, il vit s’esquisser puis se préciser une forêt <strong>de</strong> hêtres dont le vent<br />

agitait cruellement les branches et ravageait les feuilles. La neige lour<strong>de</strong> collait aux visages, la<br />

glace éclatait sous les sabots <strong>de</strong>s chevaux. <strong>Le</strong>s oiseaux, apeurés, tournoyaient en criant. À<br />

l’intérieur <strong>de</strong>s gants fourrés, le gel bleuissait et durcissait les mains. <strong>Le</strong>s choses pliaient le dos<br />

sous un silence <strong>de</strong> pierre et, passivement, s’assoupissaient. (MG, 158-159)<br />

La musique <strong>fantastique</strong> transporte hors <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> l’univers habituel, et cet<br />

univers s’impose. Nous retrouvons ici un ensemble <strong>de</strong> procédés déjà mis en évi<strong>de</strong>nce : les<br />

éléments composant le paysage sont mis en position <strong>de</strong> sujets, l’imparfait est brièvement<br />

introduit <strong>dans</strong> le récit, les sensations éprouvées sont incontestables, le rythme <strong>de</strong>s phrases<br />

s’accélère, évoquant le trouble éprouvé par le prince…<br />

Un peu plus tard, Erik chante les vers <strong>de</strong> August von Platen : « Quiconque a, <strong>de</strong><br />

ses yeux, contemplé la beauté, est pour toujours consacré à la mort. Il cesse d’être apte aux<br />

choses terrestres, et pourtant il tremblera <strong>de</strong>vant la mort, quiconque a, <strong>de</strong> ses yeux<br />

contemplé la beauté » (MG, 163). <strong>Le</strong>s notes sur lesquelles Erik prolonge les mots « beauté<br />

et mort » retentissent « <strong>dans</strong> le lointain <strong>de</strong> la forêt comme un appel éveillant<br />

d’innombrables réponses <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s arbres qui se renvoyaient beauté et mort comme <strong>de</strong><br />

graves avertissements » (MG, 163), et dès que Erik commence à chanter apparaît « à<br />

l’horizon le tragique cortège nuptial <strong>de</strong> la beauté et <strong>de</strong> la mort, bariolé d’accessoires joyeux<br />

et funèbres, comme le carnaval du délire et <strong>de</strong> la déraison » (MG, 166).<br />

Évoquant les vibrations <strong>de</strong> la nature, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> fait résonner, <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Miroirs<br />

et les gouffres, <strong>dans</strong> Algues, la harpe atmosphérique, instrument caractéristique, comme<br />

l’orgue <strong>de</strong> verre, <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> charnière XVIII e -XIX e siècle. <strong>Le</strong> Musikant d’Algues<br />

s’efforce pendant quelque temps d’élaborer <strong>de</strong>s harpes éoliennes qu’il utilise pour essayer<br />

<strong>de</strong> reconstituer « cette musique évasive qui passait quelquefois au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête, à une<br />

indéfinissable hauteur entre terre et ciel, et que les vieilles gens qui en avaient été visitées,<br />

appelaient la musique <strong>de</strong>s fées » (A, 69), musique évoquée aussi <strong>dans</strong> L’Enchanteur et <strong>dans</strong><br />

<strong>Le</strong>s Vaines Montagnes. C’est, <strong>dans</strong> la perspective d’Hoffmann, la « gran<strong>de</strong> voix <strong>de</strong> la<br />

nature » qui la fait vibrer, c'est-à-dire la voix qui vient d’un autre mon<strong>de</strong>.<br />

684 Il s’agit <strong>de</strong> vers tirés d’un poème <strong>de</strong> Neidhart von Reuenthal. « <strong>Le</strong>s bois étaient tout gris, <strong>de</strong> givre et <strong>de</strong> gel<br />

surpris » (traduit par André Moret <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> lyrisme médiéval allemand <strong>de</strong>s origines au XIV e siècle, Lyon,<br />

Bibliothèque <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s Étu<strong>de</strong>s Germaniques, 1950, p.103.)

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