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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

exposer leurs corps aux épreuves du froid, <strong>de</strong> la faim et <strong>de</strong> la soif, mais pour essayer<br />

d’entendre les voix qui les éclaireront sur leur propre vocation. <strong>Le</strong> désert est un lieu<br />

important <strong>dans</strong> la création <strong>de</strong> l’effet <strong>fantastique</strong>. C’est est un lieu <strong>de</strong> vacuité qui en luimême<br />

est déjà inquiétant. Il est générateur d’angoisse comme tous les « longs espaces<br />

plats, les vi<strong>de</strong>s horizontaux » (CPI, 16). La conscience inquiète <strong>de</strong>s personnages va<br />

projeter ses angoisses sur le paysage environnant. <strong>Le</strong> désert <strong>de</strong>vient alors une sorte d’écran.<br />

Tout l’art du récit <strong>fantastique</strong> est <strong>de</strong> faire comprendre que tout cela ne relève pas <strong>de</strong> la<br />

seule subjectivité et que par conséquent <strong>de</strong>rrière cet écran peut se manifester ce qui relève<br />

du mon<strong>de</strong> invisible. <strong>Le</strong> désert, tout comme la forêt, la montagne, la mer, la lan<strong>de</strong>, lieux<br />

interchangeables, est un espace où la réalité disparaît <strong>de</strong>rrière la vision, où ce que nous<br />

appelons mirage peut être révélateur <strong>de</strong> la réalité cachée du mon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> début <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong><br />

présente un paysage sacralisé. <strong>Le</strong>s voyageurs campent près d’un lac sulfureux. <strong>Le</strong> regard<br />

<strong>de</strong>scripteur monte <strong>de</strong> ce lac vers une chaîne <strong>de</strong> montagnes lointaines et, au-<strong>de</strong>ssus, la pleine<br />

lune. Ce paysage possè<strong>de</strong>, pour reprendre l’expression <strong>de</strong> Rudolf Otto, une tonalité<br />

particulière propre aux cultes anciens. Il y a, <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>scription du paysage, <strong>de</strong>ux allusions<br />

aux rites anciens qui font suite à beaucoup d’autres <strong>dans</strong> le roman. Il y a d’abord ce lac<br />

sulfureux dont les gens du pays soulignent les vertus. L’évocation <strong>de</strong> ce lac verticalise le<br />

paysage du désert, et c’est un élément supplémentaire d’inquiétu<strong>de</strong>. Dans l’antiquité, le lac<br />

sulfureux est l’entrée <strong>de</strong>s enfers. En tout cas, il signifie un lien avec le feu intérieur, un feu<br />

suspect plus ou moins en relation avec les cultes <strong>de</strong>s dieux d’en-bas. <strong>Le</strong> paysage<br />

volcanique est un « espace inquiet », un rappel <strong>de</strong> ce paysage dont il a déjà été question un<br />

peu avant <strong>dans</strong> le roman, décor évoqué par Graham alors qu’il décrit une fête dont il a été<br />

témoin <strong>dans</strong> un pays tropical, qui a eu lieu au voisinage d’un lac où l’on adore une déesse<br />

noire (NATM, 87). Tout autour <strong>de</strong> ce lac vit un peuple pauvre « habité par la croyance qu’il<br />

avait en un univers qu’habitait (…) une race <strong>de</strong> dieux méchants et colossalement forts ».<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce lac se déploie un paysage <strong>de</strong> volcans 256 . <strong>Le</strong> mot sulfureux signifie « qui<br />

contient du souffre », mais il peut aussi vouloir dire suspect, et ici associé aux enfers et à<br />

la présence hypothétique <strong>de</strong>s divinités infernales. <strong>Le</strong> paysage est marqué par son envers<br />

souterrain, mais aussi par un envers céleste : « L’éclat <strong>de</strong> la lune, les nuits où elle était<br />

majeure, ou « pleine » comme on dit, ce qui fait penser aux Déesses <strong>de</strong> la Fécondité (…) »<br />

(NATM, 105). Nous avons donc un paysage sacralisé, tel qu’on pourrait le retrouver <strong>dans</strong><br />

256 Nous pouvons rapprocher cela d’un conte <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Une aventure <strong>de</strong> voyage, où est présenté un<br />

paysage tout aussi inquiétant <strong>dans</strong> lequel un voyageur rencontre un cavalier diabolique : « Des volcans<br />

fermaient le fond du paysage (…). La fumée calme montait <strong>de</strong>s bouches entrouvertes, dont certaines<br />

semblaient lâcher leur haleine lentement, à regret, entre les lèvres presques closes (…) la puanteur du souffre<br />

entrait <strong>dans</strong> la bouche en y enfonçant le doigt et poussait au fond jusqu’à la nausée. » (p.104)

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