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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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406<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

succè<strong>de</strong>nt une approche sensorielle et <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>uxième temps une approche mettant en<br />

jeu la réflexion. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> a beaucoup étudié les œuvres d’art <strong>dans</strong> les musées, et ce qui<br />

est important <strong>dans</strong> sa démarche, c’est que « l’œuvre d’art n’est pas à l’origine d’un<br />

concept » 635 . <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> souhaite abor<strong>de</strong>r l’œuvre d’art avec ses sens. Ce contact est<br />

pour lui primordial, <strong>de</strong> manière à recevoir <strong>de</strong> l’œuvre d’art un maximum d’émotions. Dans<br />

un <strong>de</strong>uxième temps seulement intervient la réflexion et l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’historien <strong>de</strong> l’art.<br />

L’œuvre d’art est donc avant tout objet <strong>de</strong> « délectation », selon l’expression reprise par<br />

Jean-Louis Vaudoyer 636 . C’est <strong>dans</strong> ce sens qu’il faut comprendre le « vieux texte taoïste »<br />

auquel il est fait référence <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel : « Vomis ton intelligence,<br />

telle est en principe l’unique règle <strong>de</strong> la Sagesse. Tout dogme est nocif. Il n’y a point <strong>de</strong><br />

bonnes œuvres, seuls sont efficaces le silence et la quiétu<strong>de</strong> » (ETC, 101). L’approche <strong>de</strong><br />

l’écran <strong>de</strong> soie est donc d’abord sensitive. Ainsi, à propos <strong>de</strong>s personnages chinois :<br />

J’aimais toucher du doigt leurs petits corps replets rembourrés <strong>de</strong> coton qui, aux endroits où le<br />

tissu ancien était usé, laissaient passer un peu <strong>de</strong> la bourre qui les gonflait. J’avais observé – et<br />

cela m’intriguait et m’inquiétait un peu – qu’on ne voyait jamais leur visage mais seulement leur<br />

dos sur lequel <strong>de</strong>scendait une longue natte. (ACF, 162)<br />

Au toucher succè<strong>de</strong> l’observation, et Adalbert éprouve ensuite <strong>de</strong>s émotions :<br />

inquiétu<strong>de</strong> favorable au <strong>fantastique</strong>, et désir d’en savoir davantage. Il s’ensuit un dialogue<br />

avec sa grand-mère qui est le début d’une réflexion, d’une recherche d’explication :<br />

« Ayant ajusté son face-à-main pour mieux étudier cette singularité qui ne l’avait jamais<br />

frappée, elle m’expliqua qu’ils étaient probablement en voyage (…) » (ACF, 162).<br />

« Toucher », « observer » laissent la place à « étudier », « expliquer ». <strong>Le</strong> dialogue avec la<br />

grand-mère fournit <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> connaissance et d’interprétation : les chinois sont en<br />

voyage, se dirigent vers le fond du paysage en suivant <strong>de</strong>s sentiers sinueux, sont à la<br />

recherche du bonheur. Ce bonheur se trouve <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong>s montagnes, et lorsqu’ils y<br />

seront parvenus, ils ne reviendront pas. Ces explications ne satisfont pas Adalbert qui<br />

désire « en apprendre davantage ». L’interrogation se poursuit, mais relève alors d’une<br />

démarche solitaire. L’observation <strong>de</strong>vient plus pointue : « Je les isolai sans peine, les uns<br />

<strong>de</strong>s autres, et je m’efforçai <strong>de</strong> les suivre <strong>dans</strong> leurs pérégrinations, jusqu’au moment où ils<br />

échappaient complètement à ma vue » (ACF, 162). On constate alors, par le jeu <strong>de</strong>s temps<br />

utilisés, l’entrée <strong>dans</strong> une profon<strong>de</strong>ur spatiale et temporelle :<br />

L’un d’eux s’était arrêté <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> pago<strong>de</strong> qui <strong>de</strong>vait être – je l’appris plus tard – la<br />

cabane d’un ermite qui avait abandonné ses hautes charges du palais et les plaisirs <strong>de</strong> la ville pour<br />

635 Voir à ce sujet le sixième entretien radiophonique avec Pierre Lhoste <strong>de</strong> 1969.<br />

636 Jean-Louis Vaudoyer, L’art est délectation, Paris, Hachette, 1968.

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