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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

atteignons le point culminant <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> <strong>fantastique</strong> lorsque les voyageurs trouvent <strong>dans</strong><br />

les <strong>de</strong>meures qu’ils occupent <strong>de</strong>s statuettes « fondues <strong>dans</strong> un métal inconnu » (NATM,<br />

31). Ces statues accè<strong>de</strong>nt au statut <strong>de</strong> « petits personnages, affreux et bouffons », possè<strong>de</strong>nt<br />

une puissance « malsaine », ont, suppose Berg, « l’auréole <strong>de</strong>s saints infernaux » (NATM,<br />

31), et <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s « démons comiques et dangereux ». Et, poursuit le narrateur :<br />

Ce qui nous parut étrange et inquiétant fut qu’un peuple comme celui-ci, qui paraissait plein <strong>de</strong><br />

raison, <strong>de</strong> mœurs honnêtes et enclin aux commodités matérielles, prît pour objet <strong>de</strong> son adoration<br />

un monstre à tête <strong>de</strong> pinson, engoncé du cou aux chevilles <strong>dans</strong> un tonneau, et marchant sur <strong>de</strong>s<br />

pieds <strong>de</strong> chèvre, ou cet autre qui était homme <strong>de</strong> la taille aux pieds, le torse et la tête constitués par<br />

un emmêlement hi<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> membres d’éléphants, <strong>de</strong> visage <strong>de</strong> mouches d’où saillaient <strong>de</strong>s yeux<br />

énormes à mille facettes qui reflétaient <strong>de</strong>s cérémonies infernales. (NATM, 31)<br />

Aux adjectifs « étrange » et « inquiétant » du début <strong>de</strong> la phrase succè<strong>de</strong>nt<br />

« hi<strong>de</strong>ux », « énormes », « infernales », hi<strong>de</strong>ux étant répété quatre lignes plus loin. Dans le<br />

paragraphe suivant viennent s’ajouter « démoniaque », « furieuses », « coléreux ». Tout<br />

cela ouvre les portes d’un infernal sans limite, nous précipite <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> <strong>fantastique</strong> <strong>de</strong><br />

plus en plus présent, vivant, hors norme, fait d’associations, qui rappelle l’univers<br />

redoutable d’un Jérôme Bosch.<br />

À cette armée d’adjectifs viennent se joindre, <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s romans les<br />

adverbes qui en sont dérivés, tels que « étrangement », « inexplicablement »,<br />

« mystérieusement ». <strong>Le</strong>s adjectifs se substantivent. Il est question, <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Journal du<br />

visiteur, du « surgissement <strong>de</strong> l’incroyable » (JV, 190), <strong>de</strong> l’ « invraisemblable » (JV, 246),<br />

<strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse Ilse <strong>de</strong> « cet infini particulier aux rêves » (CPI, 139), <strong>de</strong>s<br />

« appels <strong>de</strong> l’inconnu », <strong>de</strong> la « disponibilité <strong>de</strong> l’enfant pour l’étrange et le merveilleux »<br />

(CPI, 238). L’adjectif <strong>fantastique</strong> est aussi substantivé. <strong>Le</strong> narrateur <strong>de</strong> L’Enchanteur<br />

« espère <strong>de</strong> toute ville nouvelle la révélation d’un <strong>fantastique</strong> imprévu » (E, 12). Nous<br />

sommes par conséquent en présence <strong>de</strong> tout un réseau lexical <strong>de</strong>stiné à créer une<br />

inquiétante étrangeté.<br />

D’autres procédés rhétoriques apparaissent lorsque se produit un évènement<br />

<strong>fantastique</strong>, par exemple <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Journal du visiteur :<br />

Ce fut certainement un événement sans importance, sans intérêt. Mes amis n’y ont pas prêté<br />

attention ou, peut-être, sont-ils si habitués aux vagues sons d’une vieille maison, ces souffles brefs<br />

et intenses que sont la manière <strong>de</strong> respirer <strong>de</strong>s vielles maisons, qu’ils n’ont pas perçu ce bruit,<br />

presque fondu <strong>dans</strong> le mouvement <strong>de</strong> la conversation, ou s’en sont-ils si bien accommodés qu’il<br />

ne leur vient pas à la pensée <strong>de</strong> l’expliquer à un nouveau venu – ou bien ai-je été le seul à<br />

entendre cette lente <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> quelqu’un qui n’était pas là, du premier étage au vestibule où<br />

nous passons la soirée, un froissement <strong>de</strong> pied sur le bois <strong>de</strong>s marches <strong>de</strong> l’escalier, un glissement<br />

<strong>de</strong> main <strong>de</strong> femme sur la vieille rampe. (JV, 17-18)

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