27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

130<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

La rencontre avec le fantôme éveille l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> celui qui est confronté aux<br />

espaces <strong>de</strong> la vacuité, mais qui se trouve aussi face au problème <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort. On<br />

constate chez <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> une constante funèbre, même si elle est compensée par un<br />

sentiment ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> vouloir vivre, le retour obsédant du thème <strong>de</strong> la mort. Il est lié à la<br />

présence <strong>de</strong> ces fantômes, mais d’autres motifs viennent s’ajouter. Un <strong>de</strong>s titres, L’Ombre<br />

d’un arbre mort, fait allusion à ces arbres que certains créateurs <strong>de</strong> jardins installaient <strong>dans</strong><br />

les parcs princiers <strong>de</strong> la fin du XVIII e siècle et qui <strong>de</strong>vaient servir <strong>de</strong> Memento mori 238 ,<br />

donner la sensation <strong>de</strong> l’impermanence et proposer une interrogation angoissée sur le<br />

<strong>de</strong>venir humain. L’impuissance à retenir le temps humain, le temps <strong>de</strong>s horloges est en<br />

effet le tourment, <strong>dans</strong> le roman, <strong>de</strong> Terence et <strong>de</strong> Georgiana. L’épigraphe <strong>de</strong> De l’autre<br />

côté <strong>de</strong> la forêt « Je me suis entretenu avec la mort et elle m’a assuré que rien n’existe en<br />

<strong>de</strong>hors d’elle », phrase tirée <strong>de</strong> La Loge invisible <strong>de</strong> Jean-Paul Richter, reprend le constat<br />

tragique d’Ottomar à qui il arrive d’être enterré vivant à la suite d’un apparent décès et <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>scendre prématurément chez les morts. La mort elle-même fait son apparition, en<br />

compagnie du diable, <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Miroirs et les gouffres. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux étrangers arrivent à la cour<br />

<strong>de</strong> W. où vit le prince, personnage principal du roman. La mort n’est pas un personnage<br />

horrible armé d’une faux comme au Moyen-âge. Elle n’a pas non plus l’aspect <strong>de</strong> ces<br />

squelettes qui viennent hanter les tableaux <strong>de</strong> la Renaissance, <strong>de</strong> Dürer ou <strong>de</strong> Hans<br />

Baldung Grien. Elle apparaît sous les traits d’un jeune garçon <strong>de</strong> quinze ou seize ans « qui<br />

aurait pu aussi bien être une fille » (MG, 147), d’un jeune homme intrépi<strong>de</strong>, silencieux, qui<br />

regar<strong>de</strong> fixement <strong>de</strong>vant lui, frappe par l’éclat <strong>de</strong> ses yeux « brillant <strong>de</strong> leur étrange éclat<br />

pâle » et par la blancheur et la longueur <strong>de</strong> ses mains. Associé à la musique qu’il semble<br />

aspirer « avec une sorte <strong>de</strong> volupté triste et aiguë », il chante les poèmes <strong>de</strong>s vieux<br />

Minnesänger, <strong>de</strong>s madrigaux anglais et les vers tragique du poète August von Platen<br />

« Quiconque a, <strong>de</strong> ses yeux, contemplé la beauté, est pour toujours consacré à la mort »<br />

(MG, 163). Lui aussi, par le seul éclat <strong>de</strong> son regard ouvre <strong>de</strong>s abîmes <strong>de</strong> mélancolie et<br />

d’inquiétu<strong>de</strong> :<br />

<strong>Le</strong>s yeux du jeune chanteur avaient l’éclat insondable d’un lac <strong>de</strong> montagne, dont les abîmes<br />

étaient emplis <strong>de</strong> troncs morts et les lèvres bordées <strong>de</strong> glaciers verdâtres et bleuissants. Et c’était<br />

238<br />

On retrouve ce motif <strong>de</strong> l’arbre mort <strong>dans</strong> les peintures <strong>de</strong> Piero di Cosimo (voir <strong>dans</strong> Art<br />

<strong>fantastique</strong> p.166). <strong>Le</strong>s romans <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> sont jalonnés <strong>de</strong> Memento mori. <strong>Le</strong> serpent qui apparaît <strong>dans</strong><br />

De l’autre côté <strong>de</strong> la forêt est un messager entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s morts et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vivants. Pulcinella qui<br />

apparaît <strong>dans</strong> une scène <strong>de</strong> carnaval romain <strong>dans</strong> L’Ombre d’un arbre mort, héros <strong>de</strong> la farce italienne, est<br />

associé à la mort (p.162). On peut y ajouter l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la salle <strong>de</strong>s vanités <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse<br />

Ilse, la présence d’un tableau représentant une vanité <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Journal du visiteur. La vanité est liée à une<br />

méditation sur la mort, sur la fragilité <strong>de</strong> la condition humaine. Allusion enfin à la philosophie baroque <strong>de</strong> Sir<br />

Thomas Brown <strong>dans</strong> Château d’ombres (p.111) : « There is nothing strictly immortal but immortality ».

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!