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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

admet la présence d’un « gui<strong>de</strong> sévère » marchant à nos côtés. Dans ce domaine, la langue<br />

alleman<strong>de</strong> présente certains avantages parce qu’elle possè<strong>de</strong> une troisième personne du<br />

singulier neutre, le « es träumte mir » <strong>de</strong> Novalis 496 . L’expression j’ai rêvé implique une<br />

part active du sujet. La tournure neutre permet d’insister sur la position passive du rêveur.<br />

Il en résulte chez <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> <strong>de</strong>s annonces <strong>de</strong> rêves particulières qui laissent entendre<br />

que les rêves interviennent comme visiteurs ou gui<strong>de</strong>s, par exemple : « Et c’est <strong>de</strong>vant un<br />

tableau noir que m’amène ce rêve » (NATM, 171), « Cette nuit-là il eut un rêve » (ACF,<br />

47), « La succession <strong>de</strong> rêves qui me visitèrent pendant ce premier sommeil (…) » (A, 45).<br />

Il y a <strong>dans</strong> les romans toutes sortes <strong>de</strong> rêves, « rêves du premier sommeil qui<br />

jettent un pont d’albâtre entre les <strong>de</strong>rnières avancées du réel et les premiers contreforts <strong>de</strong>s<br />

songes proprement dits » (PGS, 224), rêves <strong>de</strong> l’ « heure proche du matin » (CPI, 159),<br />

rêves <strong>de</strong> midi, rêves <strong>de</strong> la « haute nuit ». Ils sont divers aussi par le contenu qu’ils<br />

proposent : rêves qui ramènent à l’enfance, qui entrebâillent les portes d’un univers<br />

infernal, rêves initiatiques… La Mère <strong>de</strong>s Signes, <strong>dans</strong> La Ville <strong>de</strong> sable, distingue ceux<br />

qui ne sont que « divagations légères » et ceux qui livrent un « enseignement prophétique »<br />

(VS, 162).<br />

Dans un texte éclairant consacré à Gérard <strong>de</strong> Nerval, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> distingue trois<br />

<strong>de</strong>grés du rêve :<br />

À l’étage le plus superficiel, le rêve est encombré <strong>de</strong>s résidus <strong>de</strong>s pensées, <strong>de</strong>s sentiments, <strong>de</strong>s<br />

événements <strong>de</strong> la journée ; c’est une sorte <strong>de</strong> « poubelle <strong>de</strong> l’imagination et <strong>de</strong> la mémoire ». À un<br />

étage plus profond se situent ces mouvements du conscient et <strong>de</strong> l’inconscient qui préoccupent les<br />

psychanalystes, et c’est ce qu’il y a <strong>de</strong> plus intéressant pour la connaissance du moi et du soi,<br />

l’appartenance à la mémoire collective. Mais là non plus qu’au premier étage nous ne sortons pas<br />

<strong>de</strong> nous-mêmes.<br />

Au <strong>de</strong>gré le plus profond, impossible à localiser car les catégories <strong>de</strong> l’espace et du temps<br />

n’existent plus <strong>dans</strong> cette région, le rêve nous met en communication directe, immédiate, non plus<br />

avec <strong>de</strong>s états qui nous sont propres, mais avec <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s auxquels nous n’avons accès que là ;<br />

avec le passé et avec l’avenir, si l’on peut encore employer ces mots pour décrire <strong>de</strong> pareils états<br />

puisque tout y est présent, actuel.<br />

C’est le <strong>de</strong>gré où le rêve <strong>de</strong>vient initiatique car il se meut <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> connaissance dont<br />

l’état <strong>de</strong> veille – à moins qu’il ne s’agisse <strong>de</strong> rêve éveillé – n’a pas l’usage, et qui nous révèle<br />

496 Cité par Jean-Daniel Gollut <strong>dans</strong> Conter les rêves, op. cit., p.209. Es träumte mir signifie : cela a rêvé en<br />

moi. On trouve aussi chez Novalis par exemple « Da träumte ihm erst von unabsehlichen Fernen, und<br />

wil<strong>de</strong>n, unbekannten Gegen<strong>de</strong>n », <strong>dans</strong> Novalis, Hymnen an die Nacht, Heinrich von Ofterdingen, Stuttgart,<br />

Goldmann Klassiker, 1979, p. 40. La phrase est traduite <strong>de</strong> manière peu satisfaisante par : « Puis il<br />

commença à rêver <strong>de</strong> lointains à perte <strong>de</strong> vue et <strong>de</strong> régions sauvages, inconnues. », <strong>dans</strong> Novalis, Oeuvres<br />

complètes, Paris, Gallimard, 1975, p.80.

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