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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

André Ar<strong>de</strong>n, <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel connaît lui aussi ce moment<br />

particulier « <strong>de</strong> l’heure que les Grecs appelaient stationnaire où il fallait ne pas faire <strong>de</strong><br />

bruit pour ne pas troubler le sommeil du Grand Pan » (ETC, 299). L’heure <strong>de</strong> midi est mise<br />

en relation avec un contexte mythologique. Selon la mythologie grecque, Pan est un dieu<br />

qui fréquente la surface <strong>de</strong> la terre puisqu’il gar<strong>de</strong> les moutons, les vaches, s’occupe <strong>de</strong>s<br />

ruches, participe aux <strong>dans</strong>es <strong>de</strong>s nymphes <strong>de</strong> la montagne et ai<strong>de</strong> les chasseurs à trouver du<br />

gibier. À l’heure <strong>de</strong> midi, il s’assoupit, et il ne faut pas le réveiller. Il est, nous dit Robert<br />

Graves, « un personnage insouciant et paresseux, aimant par-<strong>de</strong>ssus tout sa sieste et il se<br />

vengeait <strong>de</strong> ceux qui le dérangeaient en poussant brusquement, <strong>de</strong>rrière un bosquet ou <strong>dans</strong><br />

une grotte un grand cri, qui leur faisait dresser les cheveux sur la tête » 624 . Pour <strong>Marcel</strong><br />

<strong>Brion</strong>, ce paganisme subsiste en certains <strong>de</strong>s « endroits secrets » <strong>de</strong> la Provence, son pays<br />

natal, « attaché aux rochers, aux arbres, à certaines qualités <strong>de</strong> lumière, d’ombre et <strong>de</strong><br />

vent » 625 , et il est possible d’y pressentir la présence persistante <strong>de</strong>s dieux anciens. Il<br />

raconte sa rencontre avec un paysan du Lubéron qui affirme avoir croisé un jour le Grand<br />

Pan, rencontre véridique, précise Liliane <strong>Brion</strong> <strong>dans</strong> une note, qui s’est produite vers 1937-<br />

1938, dont le récit figure <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel 626 . <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> a dû être<br />

profondément impressionné par cet épiso<strong>de</strong>, raconté aussi <strong>dans</strong> les entretiens<br />

radiophoniques avec Pierre Lhoste <strong>de</strong> 1969, et qui fournit le point <strong>de</strong> départ d’un poème du<br />

19 juin 1938 intitulé « L’heure stationnaire » 627 . Il fait <strong>de</strong> cette heure un moment privilégié<br />

du <strong>fantastique</strong>, et on en retrouve trace en particulier <strong>dans</strong> Nous avons traversé la<br />

montagne :<br />

Ma prière enfantine me protégeait contre les fantômes nocturnes mais elle ne disait rien <strong>de</strong>s<br />

fantômes <strong>de</strong> midi, dont la malfaisance était connue <strong>de</strong>s Anciens. <strong>Le</strong>s Provençaux s’en souviennent<br />

bien, et ce vieux paysan <strong>de</strong> mon enfance le savait qui, si je m’avisais <strong>de</strong> crier trop fort en plein<br />

midi, me rabrouait : « Prends gar<strong>de</strong>, petit, le Grand Pan dort. » Ces fantômes <strong>de</strong> midi, auxquels il<br />

associait singulièrement une pieuse dévotion pour le Grand Pan, ce paysan me racontait qu’ils<br />

profitent <strong>de</strong> l’heure terrible où le soleil, à son maximum <strong>de</strong> force, frappe la terre à coups <strong>de</strong> sa<br />

massue ar<strong>de</strong>nte, pour se promener parmi les humains, à l’heure où la lumière éblouissante les fait<br />

invisibles. (NATM, 39)<br />

624 Robert Graves, <strong>Le</strong>s mythes grecs, [1958], Fayard, 1967, p.114.<br />

625 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Mémoires d’une vie incertaine, op. cit., p.139.<br />

626 Ibid., p.144.<br />

627 Ibid., p.143. Voici un extrait <strong>de</strong> ce poème : « Crains les spectres <strong>de</strong> la mort diurne, ceux qui se promènent<br />

en plein midi, dévêtus <strong>de</strong> ténèbres et trop semblables à <strong>de</strong>s vivants pour que nous puissions éviter d’instinct<br />

leur chemin <strong>de</strong> lépreux ».

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