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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

fait alors un parallèle intéressant entre le rococo et E.T.A. Hoffmann : « Car Hoffmann<br />

seul a compris l’arrière-plan mystérieux et dramatique que cache le rococo, ce rococo que<br />

je n’aime pas parce que j’en <strong>de</strong>vine, moi, tous les dangers et que vous adorez, impru<strong>de</strong>nt,<br />

avec cette manie charmante que vous avez <strong>de</strong> vouloir toujours jouer avec le feu » (FC,<br />

126). <strong>Le</strong> personnage brionien s’estime impru<strong>de</strong>nt lorsqu’il prend conscience d’un<br />

basculement <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le <strong>fantastique</strong>. Il hésite à s’engager, car un pas <strong>de</strong> trop peut<br />

avoir un caractère irrévocable. L’aventure, bien inquiétante n’est pas toujours acceptée,<br />

mais elle requiert <strong>de</strong>s qualités : « C’est une grave tentation que la tentation <strong>de</strong> l’infini.<br />

Celui qui y cè<strong>de</strong> doit tenir fermement les rênes <strong>de</strong> son âme. Il est plus facile <strong>de</strong> s’y perdre<br />

que <strong>de</strong> s’y trouver » 554 . On pourrait tout à fait remplacer ici le mot « infini » par le mot<br />

« <strong>fantastique</strong> » !<br />

<strong>Le</strong> premier grand danger du rococo est la fuite hors du réel. <strong>Le</strong> rococo présente<br />

l’image d’une société qui se perd en perdant le contact avec la réalité. <strong>Le</strong>s êtres instables y<br />

per<strong>de</strong>nt leurs repères sociaux. L’homme qui est affecté par une réalité historique décevante<br />

ou menaçante se réfugie <strong>dans</strong> le rêve, <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du fictif, du théâtre, fuit vers les<br />

territoires brumeux <strong>de</strong> la nostalgie. La Folie Céladon réunit <strong>de</strong>s personnages qui ont connu<br />

une existence tragique. Hunenberg se condamne lui-même au regret et à l’amertume, en<br />

épousant par respect pour la parole donnée une jeune fille lai<strong>de</strong> et ruinée, et mène une<br />

existence misérable. <strong>Le</strong>s Ortgut sont victimes <strong>de</strong>s années catastrophiques d’après la<br />

Première Guerre mondiale à Vienne. Bernhorst est incapable <strong>de</strong> faire un geste pour tenter<br />

<strong>de</strong> sauver la femme qu’il aime. Clairenore s’est mutilé le visage lors d’une tentative <strong>de</strong><br />

suici<strong>de</strong>. Ces personnages, dont la vie, pour <strong>de</strong>s raisons diverses, a été brisée, sont<br />

confrontés « à une crise mortelle du vouloir et <strong>de</strong> l’agir » (FC, 9). L’acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Folie<br />

Céladon efface du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s « naufragés du cœur et <strong>de</strong> l’esprit » (FC, 81), « <strong>de</strong>s êtres<br />

<strong>dans</strong> lesquels une voie d’eau s’est déclarée » (FC, 122), et ils se livrent à une « orgie <strong>de</strong><br />

masochisme moral » (FC, 92). Cette catastrophe, « il semble que tout l’art rococo<br />

l’appelle, la réclame » (FC, 124). L’incendie final, cet événement tragique, n’est que la<br />

conclusion d’un drame qui a touché chaque individu, préparé par leurs souffrances et leurs<br />

tragédies.<br />

<strong>Le</strong> décor, tout comme celui <strong>de</strong> la grotte artificielle <strong>de</strong> Château d’ombres, joue<br />

entre le vrai et le faux et amène à la confusion :<br />

Imaginez, dominant les terrasses, le pavillon aux belles courbes, les balustra<strong>de</strong>s couronnées <strong>de</strong><br />

statues, tout cet or brillant et ces pierres scintillantes, <strong>de</strong>ssinés, soulignés par l’éclat bref du feu<br />

554 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Rembrandt, Paris, Albin Michel, 1946, p.6.

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