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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

allusions à ce mysterium tremendum 253 . C’est en utilisant les diverses catégories du sacré<br />

qu’il crée l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>fantastique</strong>.<br />

Pour Rudolf Otto, le sacré est difficile à étudier parce qu’il se soustrait au<br />

domaine du rationnel. De même que le beau, il concerne le domaine <strong>de</strong> l’ineffable. Rudolf<br />

Otto distingue <strong>de</strong>ux sens donnés au mot sacré : d’une part il se rapporte à un élément<br />

moral et rationnel. On parle du caractère sacré du <strong>de</strong>voir ou <strong>de</strong> la loi. Ce sont <strong>de</strong>s choses<br />

qui prennent un caractère obligatoire. D’autre part, le sacré est un élément qui appartient à<br />

toutes les religions. Pour ce <strong>de</strong>uxième élément, Rudolf Otto trouve un nom, <strong>de</strong> manière à<br />

tenter d’en fixer le sens particulier, et préfère parler du numineux (das Numinose), et il<br />

parle d’un « état d’âme numineux ». <strong>Le</strong> numineux, dit-il « n’est pas rationnel, c'est-à-dire<br />

qu’il ne peut se développer en concepts, nous ne pouvons indiquer ce qu’il est qu’en notant<br />

la réaction sentimentale particulière que son contact provoque en nous » 254 . <strong>Le</strong> numineux<br />

saisit l’âme humaine, et cette émotion a une tonalité particulière, propre à la solennité <strong>de</strong>s<br />

rites et <strong>de</strong>s cultes anciens, se vit autour d’édifices religieux, temples, églises. Ce qui s’en<br />

dégage, c’est le sentiment <strong>de</strong> mysterium tremendum, le « mystère qui fait frissonner » :<br />

Il peut conduire à d’étranges excitations, à l’ivresse, aux transports <strong>de</strong> l’extase. Il a <strong>de</strong>s formes<br />

sauvages et démoniaques. Il peut se dégra<strong>de</strong>r et presque se confondre avec le frisson et le<br />

saisissement d’horreur éprouvé <strong>de</strong>vant les spectres. 255<br />

<strong>Le</strong> mystère désigne ce qui est caché, ce qui n’est ni conçu ni compris, le<br />

tremendum est à la fois peur, puissance (majestas) et énergie. Qu’en est–il <strong>dans</strong> le<br />

<strong>fantastique</strong> <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> ?<br />

<strong>Le</strong> début <strong>de</strong> la troisième partie <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne, l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la rencontre <strong>de</strong>s cavaliers du désert est très caractéristique du <strong>fantastique</strong> brionien. <strong>Le</strong>s<br />

protagonistes du roman traversent un désert, non par esprit <strong>de</strong> mortification, non pour<br />

253 Rudolf Otto, <strong>Le</strong> Sacré, l’élément non-rationnel <strong>dans</strong> l’idée du divin et sa relation avec le rationnel,<br />

[1923], Paris, Payot, 1949. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> fait allusion à cet ouvrage <strong>dans</strong> Léonard <strong>de</strong> Vinci, p.264, également<br />

à propos <strong>de</strong> Grünewald <strong>dans</strong> La gran<strong>de</strong> aventure <strong>de</strong> la peinture religieuse : « Mystère fascinant, ou mystère<br />

terrible, selon la définition traditionnelle : ajoutons aussi mystère ravissant <strong>dans</strong> certaines pages toutes <strong>de</strong><br />

douceur, <strong>de</strong> grâce, <strong>de</strong> plénitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> beauté charnelle et spirituelle » (p.170) ; « <strong>Le</strong> Sacré apparaît ainsi, chez<br />

Grünewald, comme un tragique à l’état pur, reposé par <strong>de</strong>s moments d’harmonieux répit et <strong>de</strong> douce joie,<br />

mais le drame reste sous-jacent, et le terrible se <strong>de</strong>vine à une certaine vibration profon<strong>de</strong>, qui affleure à peine<br />

la surface <strong>de</strong>s formes, et les émeut au plus profond <strong>de</strong> leur inquiétu<strong>de</strong>. » (p.182). <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> utilise aussi<br />

ces données critiques <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la littérature. À propos <strong>de</strong> Thomas Mann, <strong>dans</strong> L’Allemagne<br />

romantique, le voyage initiatique, tome 2 : « La beauté fait peur, en même temps qu’elle ravit. Platen voulait<br />

dire cela quand il écrivait que l’homme capturé par la beauté ne vaut plus rien pour toutes les choses<br />

terrestres. Et aussi parce que brille en elle la lumière sacrale d’un mysterium trmendum qui marque comme<br />

d’un sillage phosphorescent le passage du numen. » (p.270). On trouve <strong>de</strong>s allusions <strong>dans</strong> les romans, par<br />

exemple <strong>dans</strong> L’Ermite au masque <strong>de</strong> miroir : « <strong>Le</strong> tremblement mystérieux attaché à la suprême beauté. »<br />

(p.140)<br />

254 Ibid. p.28.<br />

255 Ibid. p.29.

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