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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

tronc, écorce, aubier, évoque non seulement une luxuriance mais aussi une confusion<br />

inquiétante. L’eau qui prédomine, envahit la végétation, n’est pas dynamique mais<br />

stagnante. C’est une eau du pourrissement et <strong>de</strong> la mort. <strong>Le</strong>s oiseaux sont absents. Dans<br />

une perspective symbolique, ils représentent le lien entre la terre et le ciel, <strong>de</strong>ux éléments<br />

qui s’effacent. Ils laissent la place aux insectes, dont le narrateur parle un peu plus loin,<br />

qui, au contraire <strong>de</strong>s oiseaux, sont <strong>de</strong>s êtres qui se mêlent à la matière pour la ronger et la<br />

détruire. La lumière est uniformément grise et ne fournit plus <strong>de</strong> repère, à tel point qu’il<br />

n’est plus possible <strong>de</strong> distinguer le jour et la nuit.<br />

<strong>Le</strong> brouillard possè<strong>de</strong> un double psychique. <strong>Le</strong>s voyageurs ne suivent plus <strong>de</strong><br />

chemin, per<strong>de</strong>nt la notion habituelle <strong>de</strong> l’espace et du temps. Plus profondément, ils sont<br />

confrontés à un paysage du chaos, au règne du mensonge, <strong>de</strong> la confusion, du désordre, et<br />

le brouillard « désorganise les souvenirs ». <strong>Le</strong> narrateur insiste sur ce point à diverses<br />

reprises <strong>dans</strong> une série <strong>de</strong> parenthèses : « – mais combien se délabraient nos souvenirs… –<br />

(…) (Ai-je dit – comment se souvenir… – (…) » (NATM, 169-170). <strong>Le</strong> brouillard,<br />

manifestation d’une force obscure, possè<strong>de</strong> une énergie <strong>de</strong>structrice qui s’exerce sur le<br />

mon<strong>de</strong> environnant et sur ceux qui le traversent, capable d’instiller en eux <strong>de</strong>s « rêves<br />

pestilentiels » jusque <strong>dans</strong> le sommeil.<br />

La forêt fermée est son alliée. La végétation touffue retar<strong>de</strong> la progression. <strong>Le</strong>s<br />

rochers, les à-pics jouent le même rôle, rendant le chemin plus difficile, ou plus étroit et<br />

sinueux. Dans ces contrées, le chemin <strong>de</strong>vient inexistant, et il faut sans cesse le chercher ou<br />

le réinventer. La forêt prend l’allure <strong>de</strong> l’Urwald primitive telle que l’ont représenté Caspar<br />

David Friedrich ou Albrecht Altdorfer 455 . C’est une forêt <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong>. L’incipit <strong>de</strong> De<br />

l’autre côté <strong>de</strong> la forêt nous introduit soudainement <strong>dans</strong> l’univers du fermé :<br />

Maintenant qu’il se sentait perdu <strong>dans</strong> cette obscurité croissante, les arbres <strong>de</strong>venant plus gros et<br />

se serrant davantage <strong>de</strong>puis qu’il s’était avancé plus loin, <strong>dans</strong> l’épaisse <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> la nuit et <strong>de</strong> la<br />

végétation qui commençait d’exhaler une humidité presque sauvage, il regrettait d’avoir renvoyé<br />

la voiture. (ACF, 13)<br />

La phrase est longue, à l’image <strong>de</strong> ce mouvement <strong>de</strong> pénétration <strong>dans</strong> la forêt<br />

labyrinthique. En même temps, nous entrons <strong>dans</strong> la nuit, et <strong>dans</strong> cette « obscurité<br />

croissante » se manifeste la vie cachée <strong>de</strong>s arbres. Nous remarquons les effets <strong>de</strong><br />

personnification, le choix <strong>de</strong> l’adjectif « sauvage ». Tout un univers se révèle, susceptible<br />

d’engloutir le personnage 456 . Nous retrouvons cette image <strong>de</strong> la puissance redoutable <strong>de</strong> la<br />

455 Voir illustrations 23 et 24.<br />

456 Adalbert, le héros <strong>de</strong> De l’autre côté <strong>de</strong> la forêt, se trouve ici <strong>dans</strong> la même situation que le Chasseur <strong>dans</strong><br />

la neige <strong>de</strong> C.D. Friedrich. Ce tableau est décrit <strong>dans</strong> Art <strong>fantastique</strong>, op. cit., p 9. On remarquera la

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