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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

longues étapes éprouvantes, ils s’approchent <strong>de</strong> ce fleuve qui, nous dit Wolfgang<br />

Friedrichs, « pourrait marquer la frontière <strong>de</strong> l’au-<strong>de</strong>là ». <strong>Le</strong> passeur qui les attend est « <strong>de</strong><br />

toute évi<strong>de</strong>nce Charon, exerçant sa fonction <strong>de</strong> psychopompe aux bords <strong>de</strong> l’Achéron » 386 .<br />

<strong>Le</strong> vieux batelier raconte aux voyageurs l’histoire du « Grand Empereur » qui, bien <strong>de</strong>s<br />

années auparavant, s’est noyé avec son cheval <strong>dans</strong> les remous du fleuve. <strong>Le</strong> narrateur est<br />

si bouleversé par ce récit qu’il s’i<strong>de</strong>ntifie au « Grand Empereur », et la traversée du fleuve<br />

<strong>de</strong>vient un véritable geste initiatique. Arrivé sur l’autre rive, le passeur se met à<br />

paraphraser la prière orphique :<br />

La <strong>de</strong>scente ne sera pas très longue, dit-il encore ; quand vous serez en bas, prenez le chemin à<br />

gauche, qui est tout à fait droit et plat ; d’ailleurs, il n’y en a pas d’autre. Il m’ôte les <strong>de</strong>ux<br />

gantelets, avec beaucoup <strong>de</strong> délicatesse. Peu à peu, à mesure que vous <strong>de</strong>scendrez, débarrassezvous<br />

<strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> votre armure. Vous marcherez plus facilement. Ensuite, <strong>de</strong> vos vêtements<br />

aussi : la <strong>de</strong>rnière partie du voyage se fait nu. (NATM, 149)<br />

Ces paroles annoncent une <strong>de</strong>scente aux enfers. De l’autre côté du fleuve, la route<br />

est encore longue jusqu‘aux montagnes, et traverse une terre marécageuse que les<br />

voyageurs auront beaucoup <strong>de</strong> mal à franchir.<br />

<strong>Le</strong> traîneau sur lequel le narrateur et sa compagne Hélène viennent prendre place<br />

au début <strong>de</strong> L’Ermite au masque <strong>de</strong> miroir est aussi à sa manière une embarcation qui<br />

permet <strong>de</strong> cheminer à travers les décors ambigus d’une baraque <strong>de</strong> foire. <strong>Le</strong> nain qui le<br />

pilote crie « embarque, embarque », et le traîneau <strong>de</strong>vient un véritable personnage<br />

permettant <strong>de</strong> passer « <strong>de</strong> l’autre côté du temps » :<br />

Et puis notre traîneau ne s’arrête que lorsqu’il le veut, et en ce moment il ne veut pas. (EMM, 34)<br />

Quant au traîneau, rassuré, calmé par notre propre immobilité, il rêvait. (EMM, 37)<br />

<strong>Le</strong> traîneau, d’impatience, piaffe plus fort <strong>de</strong>rrière nous. (EMM, 40)<br />

Quant au burchiello <strong>de</strong> La Fête <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong>s Âmes, il glisse sur les canaux et les<br />

cours d’eau <strong>de</strong> la Vénétie. D’un côté il y a l’aventure lointaine qui mène les voyageurs <strong>de</strong><br />

l’autre côté <strong>de</strong> l’océan, <strong>de</strong>s déserts, ou au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s paysages illusoires d’une baraque <strong>de</strong><br />

foire, <strong>de</strong> l’autre la promena<strong>de</strong>, l’errance paisible qui s’installe durant la totalité <strong>de</strong> l’espace<br />

du roman. <strong>Le</strong> burchiello est une « ancienne embarcation, <strong>de</strong> forme désuète, massive et<br />

patau<strong>de</strong>, noire <strong>de</strong> couleur suivant une vieille coutume » (EMM, 23). L’embarcation est<br />

choisie par Ermete à cause <strong>de</strong> son ancienneté, <strong>de</strong> sa couleur symbolique, <strong>de</strong> son silence et<br />

<strong>de</strong> sa lenteur. « J’aime cette vieille manière <strong>de</strong> voyager, explique-t-il, (…) et nous avons le<br />

temps <strong>de</strong> causer avant d’atteindre, avant la tombée <strong>de</strong> la nuit, notre but » (FTA, 23).<br />

Véhicule <strong>fantastique</strong>, tout comme le traîneau <strong>de</strong> L’Ermite au masque <strong>de</strong> miroir ou le navire<br />

386 Wolfgang Friedrichs, « Initiation et altérité », <strong>dans</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> humaniste et passeur, op. cit., p.176.

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