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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

par un coup <strong>de</strong> vent – mais il n’y avait pas <strong>de</strong> vent. Un silence plus lourd que l’on ne croit<br />

possible est entré <strong>dans</strong> la charmille, l’a remplie. J’ai avancé les mains : comme si elles étaient<br />

capables d’étreindre l’infiniment immatériel, et comme on souffre tout à coup d’une blessure<br />

inconnue j’ai pensé avec désespoir qu’elle ne se promènerait plus <strong>dans</strong> la charmille, que je ne la<br />

reverrais jamais – si l’on peut appeler cela voir – jamais. Et je me suis senti soulagé, en même<br />

temps que désappointé, <strong>de</strong> n’avoir pas été entraîné plus loin <strong>dans</strong> une aventure invraisemblable<br />

qui m’aurait emmené… où ? (JV, 110-111)<br />

L’italique, fréquemment utilisé par <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, permet d’attirer l’attention sur<br />

<strong>de</strong>s termes particuliers, <strong>de</strong> marquer un accent d’insistance 264 . Il a diverses fonctions : il<br />

donne du relief à certains mots, ici le mot « voir » si important <strong>dans</strong> la « monstration<br />

<strong>fantastique</strong> » 265 , attire l’attention du lecteur. L’italique, nous l’avons vu, renforce l’effet<br />

produit par la fausse nomination. <strong>Le</strong> narrateur suggère au lecteur la possibilité <strong>de</strong> la<br />

présence <strong>de</strong> « quelqu’un d’autre » (JV, 21), puis plus loin parle <strong>de</strong> « ce quelque chose que<br />

l’on ne peut définir, ni situer ». Quelques lignes plus loin, la même expression réapparaît,<br />

cette fois sans italique, ce qui correspond à une progression. Ce « quelque chose » est<br />

l’élément décisif qui va amener le narrateur à <strong>de</strong>meurer plus longuement <strong>dans</strong> la maison.<br />

L’italique permet aussi une remise en cause du sens habituel que prennent les mots. <strong>Le</strong>s<br />

termes choisis sont au cœur <strong>de</strong> l’interrogation <strong>fantastique</strong> : « (Mais qui, <strong>dans</strong> <strong>de</strong> pareils<br />

moments, sait ce que veut dire réalité ?) » (JV, 28). <strong>Le</strong>s amis du narrateur pensent que <strong>dans</strong><br />

une vieille maison « le bois joue ». <strong>Le</strong> narrateur ajoute : « Mais je n’ai, moi, jamais<br />

entendu un pareil son, et il ne s’agissait pas d’un jeu. » (JV, 20). L’expression est reprise<br />

plus loin : « (…) mais les portes et les fenêtres jouent <strong>dans</strong> les vieilles <strong>de</strong>meures (…) » (JV,<br />

37), et à la fin du roman : « (…) – le bois joue, prétendait-on – je me dis maintenant que le<br />

bois n’est pas le seul à jouer <strong>dans</strong> cette maison et que je suis à mon insu associé à un<br />

bizarre jeu (…) » (JV, 196). <strong>Le</strong> mot prend différentes valeurs. <strong>Le</strong>s amis considèrent que le<br />

bois possè<strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> produire un son. Nous sommes à un niveau d’interprétation<br />

rationnelle. <strong>Le</strong> narrateur appréhen<strong>de</strong> le réel à un autre niveau. D’une part il est confronté<br />

au jeu que mène un être invisible, d’autre part il est lui-même le jouet d’une <strong>de</strong>stinée<br />

particulière, placé malgré lui au carrefour d’une existence dominée par <strong>de</strong>s forces<br />

extérieures qu’il est loin <strong>de</strong> pouvoir maîtriser. Nous retrouvons cela <strong>dans</strong> bien d’autres<br />

romans où l’italique sert <strong>de</strong> signal et <strong>de</strong> révélateur d’un mon<strong>de</strong> où les lois sont autres que<br />

celles qui sont communément admises.<br />

264 De nombreux exemples peuvent être trouvés <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Journal du visiteur : « (…) il émanait <strong>de</strong> ce rien une<br />

sorte <strong>de</strong> fascination absur<strong>de</strong> (…) » (p.24) ; « (…) la tentation amusante et amusée d’inventorier les quelques<br />

beaux objets (…) » (p.29) ; etc.<br />

265 L’expression est <strong>de</strong> Charles Grivel, <strong>dans</strong> Fantastique-Fiction, PUF, 1992, p.29. « Je crois que la<br />

monstration <strong>fantastique</strong> est première. »

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