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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

Ce moment cause un malaise. André Ar<strong>de</strong>n, <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel,<br />

éprouve cette heure « comme quelque chose <strong>de</strong> troublant, d’angoissant » (ETC, 299), et<br />

nous retrouvons cette même sensation <strong>de</strong> danger <strong>dans</strong> L’Ombre d’un arbre mort :<br />

De l’éminence au sommet <strong>de</strong> laquelle nous avons arrêté nos chevaux, nous dominons le monotone<br />

déroulement <strong>de</strong>s sables : ocre et gris, alternativement, un paysage privé d’ombres car le soleil est<br />

très haut ; on nous a dit qu’il est dangereux <strong>de</strong> se risquer <strong>dans</strong> le désert à l’heure où les fantômes<br />

<strong>de</strong> midi galopent <strong>dans</strong> l’incan<strong>de</strong>scence. La chaleur retentit avec la voix grave et fatale <strong>de</strong>s<br />

bourdons <strong>de</strong> cathédrale. L’horizon tremble jusqu’à nos pieds, comme une mousseline grège<br />

ondulant au ras du sol. <strong>Le</strong> silence est assourdissant, comparable au silence du ciel nocturne, mais<br />

rugi par <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> bouches qui soufflent le feu. (OAM, 314)<br />

L’heure <strong>de</strong> midi est souvent associée à un paysage <strong>de</strong> l’infini, montagnes du<br />

Lubéron, désert, lan<strong>de</strong>, forêt, bord <strong>de</strong> mer, lieux où la réalité laisse facilement place à la<br />

vision. Là, la lumière peut <strong>de</strong>venir particulière. Dans Nous avons traversé la montagne,<br />

elle est si forte qu’elle rend les fantômes invisibles. Dans L’Ombre d’un arbre mort, le<br />

soleil est « très haut ». On notera l’utilisation du superlatif absolu. Comme la lumière, l’air<br />

est d’une qualité particulière. L’horizon tremble si bien que le mon<strong>de</strong> est susceptible <strong>de</strong><br />

vaciller. À <strong>de</strong>s éléments visuels s’ajoutent <strong>de</strong> fortes composantes sonores : « la chaleur<br />

retentit », « le silence est assourdissant ». Ce sont <strong>de</strong>s réalités impossibles perçues à la<br />

faveur d’un moment où le <strong>fantastique</strong> peut venir s’insinuer. La suite du texte fait référence<br />

au contexte <strong>de</strong> la Tentation, qui s’accor<strong>de</strong> avec le paysage du désert : « C’est l’heure et le<br />

lieu où les solitaires du désert voyaient courir vers eux <strong>de</strong>s faunes, <strong>de</strong>s centaures et <strong>de</strong>s<br />

femmes nues, poussés hors <strong>de</strong>s tombes par l’appel <strong>de</strong> la chasse aux âmes sanctifiées,<br />

fragiles encore, et si vulnérables » (OAM, 314). <strong>Le</strong>s figures traditionnelles <strong>de</strong>s<br />

représentations <strong>de</strong> la Tentation <strong>de</strong> saint Antoine, que nous trouverions <strong>dans</strong> la peinture <strong>de</strong><br />

la Renaissance, chez Grünewald ou Jérôme Bosch par exemple, ou <strong>dans</strong> La Tentation <strong>de</strong><br />

saint Antoine <strong>de</strong> Gustave Flaubert, viennent se mêler à un contexte antique 628 .<br />

L’heure « stationnaire » est liée à la dramaturgie <strong>de</strong> l’immobilité. Dans L’Ombre<br />

d’un arbre mort, la « stupeur <strong>de</strong> midi » tombe d’un « ciel métallique » (OAM, 14). <strong>Le</strong><br />

vocabulaire utilisé est important. L’adjectif « métallique » fige le ciel. <strong>Le</strong> mot « stupeur »<br />

vient du latin stupor qui signifie paralysie, en parlant du corps ou <strong>de</strong> l’esprit. Il désigne un<br />

état d’inertie lié à un engourdissement général. Ce mot est à rapprocher d’un autre terme<br />

utilisé <strong>dans</strong> De l’autre côté <strong>de</strong> la forêt : la « torpeur ». « Il allait être midi : la torpeur <strong>de</strong><br />

l’heure stationnaire <strong>de</strong>scendait sur la clairière » (ACF, 140). Torpeur vient du latin torpor.<br />

Il s’agit aussi d’un engourdissement physique et moral. Cette immobilité prend beaucoup<br />

628 Gustave Flaubert, La Tentation <strong>de</strong> saint Antoine, Paris, Flammarion, 1967.

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