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Comptes rendus des cours et conférences de l'EHESS 2004-2005

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CR Enseignement 04-05 16/02/06 15:33 Page 374<br />

374 ANNUAIRE <strong>2004</strong>-<strong>2005</strong><br />

Depuis l’Antiquité, les parasites (étymologiquement « mauvais commens<br />

a u x ») ont été <strong><strong>de</strong>s</strong> hôtes indésirables, mais, à partir du X V I I I e siècle, le terme<br />

s’étend à un éventail toujours plus large d’entités : la vermine infestant logis,<br />

animaux, champignons, bactéries virus <strong>et</strong> colonisant le corps humain.<br />

Peut-on voir dans ces parasites un focus universel d’émotions négatives<br />

telles que le dégoût, l’inquiétu<strong>de</strong>, la frayeur, qui ne cesse <strong>de</strong> s’élargir avec l’i<strong>de</strong>ntification<br />

toujours plus rapi<strong>de</strong> d’entités dangereuses pour l’homme ? Il est certain<br />

que les micro-organismes, longtemps invisibles à l’œil nu, ont constitué un<br />

p roblème taxinomique pour toutes les sociétés. Longtemps une re p ro d u c t i o n<br />

incompréhensible (métamorphoses multiples, passage à travers plusieurs<br />

hôtes), un nombre incommensurable, un habitat loin <strong>de</strong> la lumière, <strong>et</strong>c., ont alimenté<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> liens symboliques avec le mon<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> morts. On leur attribuait une<br />

« génération spontanée », dont l’exemple était l’apparition <strong><strong>de</strong>s</strong> asticots dans les<br />

cadavres.<br />

Pendant plusieurs séances nous avons brièvement examiné quelques cas<br />

<strong>de</strong> conflits théoriques du passé: les critiques <strong><strong>de</strong>s</strong> travaux au microscope <strong>de</strong><br />

A . Von Leeuwenho, la re n c o n t re <strong><strong>de</strong>s</strong> parasitologies sino-japonaise <strong>et</strong> européenne<br />

à l’époque Meiji, l’échec <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification du « b a c i l l e » <strong>de</strong> la peste par<br />

T. Kitasato <strong>et</strong> le succès <strong>de</strong> A. Yersin à Hong Kong.<br />

L’observation scientifique <strong><strong>de</strong>s</strong> parasites a parfois créé <strong><strong>de</strong>s</strong> monstres <strong>de</strong><br />

papier (cf. les <strong><strong>de</strong>s</strong>sins <strong>de</strong> Bonomo) tels le sarcopte <strong>de</strong> la gale en forme <strong>de</strong> crâne,<br />

ou certains <strong><strong>de</strong>s</strong> « i n s e c t e s » m u s h i inclus dans les pharmacopées japonaises.<br />

Parfois, grâce à la macrophotographie, <strong><strong>de</strong>s</strong> organismes nouvellement découverts<br />

nous terrorisent par leur morphologie (les acariens) <strong>et</strong> sont <strong>rendus</strong> responsables<br />

<strong>de</strong> craintes pathologiques souvent exagérées. En revanche, <strong><strong>de</strong>s</strong> entités<br />

à la frontière du vivant telles que le virus du sida peuvent, par hasard, apparaître<br />

– toutes pointes dressées – aussi malveillantes que mortelles.<br />

Les représentations <strong><strong>de</strong>s</strong> parasites sont en outre compliquées par <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

débats théologiques <strong>et</strong> moraux menés notamment par les créationistes, les<br />

« évolutionnistes chrétiens » <strong>et</strong> les scientifiques laïcs. Avec la christianisation <strong>de</strong><br />

la société occi<strong>de</strong>ntale le concept <strong>de</strong> génération spontanée, bien que courant,<br />

était en contradiction flagrante avec le récit <strong>de</strong> la Genèse (cf. années précé<strong>de</strong>ntes,<br />

travail sur les monstres <strong>et</strong> les mutations). Dans certains milieux fondamentalistes<br />

on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encore si les créatures hébergées dans l’arche <strong>de</strong><br />

Noé ont emporté avec elles une cargaison invisible <strong>de</strong> parasites (y compris les<br />

v i r u s ?) qui <strong>de</strong>vaient nous affliger par la suite. Darwin lui-même fut troublé par<br />

les « myria<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> parasites rampants » qui rabaissaient la création. Leur cruauté,<br />

telles les larves qui dévoraient leur hôte vivant, lui parut « un antidote aux idées<br />

sentimentales que nous nous faisons <strong>de</strong> Dieu ». Les « évolutionnistes chrétiens»<br />

qui le suivirent (R. Lankester, 1879, <strong>et</strong> H. Drummond, 1883) écrivent que le parasitisme<br />

était l’incarnation <strong>de</strong> l’égoïsme <strong>et</strong> <strong>de</strong> la paresse physique <strong>et</strong> morale. Pour<br />

Drummond, les muscles <strong>de</strong> l’âme parasitaire « <strong>de</strong>viennent faibles <strong>et</strong> mous ». La<br />

sacculina, parasite du bern a rd-l’hermite est une personnification <strong>de</strong> la dégénérescence<br />

<strong>et</strong> une violation <strong>de</strong> la Loi fondamentale <strong>de</strong> la nature. Drummond,<br />

malgré <strong><strong>de</strong>s</strong> idées apparemment hors <strong>de</strong> toute actualité, obtient actuellement<br />

vingt-huit mille entrées sur Google.

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