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Comptes rendus des cours et conférences de l'EHESS 2004-2005

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CR Enseignement 04-05 16/02/06 15:33 Page 383<br />

ANTHROPOLOGIE SOCIALE, ETHNOGRAPHIE ET ETHNOLOGIE 383<br />

langagières <strong>de</strong> province qui «montent à la ville » entrent en concurrence <strong>et</strong> donnent<br />

matière à toutes sortes <strong>de</strong> pratiques <strong>de</strong> c o d e - s w i t c h i n g <strong>et</strong> <strong>de</strong> traduction<br />

pour lesquelles on a précisément re<strong>cours</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> langues-relais ou <strong><strong>de</strong>s</strong> re g i s t re s<br />

<strong>de</strong> la langue dominante qui sont pris comme relais dans la construction d’un<br />

cadre urbain d’interintelligibilité langagière.<br />

Loin <strong>de</strong> limiter l’analyse à la langue parlée, nous avons consacré la majeure<br />

partie <strong>de</strong> l’année à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la traduction <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres littéraires. Dès que la<br />

langue maternelle s’affirme comme langue <strong>de</strong> culture, la communauté qui se<br />

définit par elle peut songer à traduire <strong><strong>de</strong>s</strong> langues étrangères au lieu <strong>de</strong> les<br />

p a r l e r. L’italien, le français <strong>et</strong> toutes les langues romanes se sont construites à<br />

partir <strong>de</strong> la traduction du latin <strong>et</strong> du grec, <strong>et</strong> ce processus <strong>de</strong> « traduction en<br />

m a s s e » (Schleiermacher), qui crée la variété noble d’une langue, est encore à<br />

l’œuvre aujourd’hui. Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> langues qui ont colonisé la planète coexistent<br />

avec la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> langues vernaculaires. Dans une région donnée du mon<strong>de</strong>,<br />

l’un <strong>de</strong> ces vern a c u l a i res vient détrôner la langue dominante dans sa fonction<br />

<strong>de</strong> langue porteuse <strong>de</strong> culture écrite. La traduction littéraire est le ressort <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te émergence.<br />

Le fil conducteur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te enquête nous était fourni par la série <strong><strong>de</strong>s</strong> tro i s<br />

relais <strong>de</strong> la voix humaine: la parole, l’écriture, l’électronique. Dans la parole <strong>et</strong> le<br />

chant, la voix qu’on entend, la vive voix, est déjà une pre m i è re inscription, une<br />

première mise en texte, <strong>de</strong> ce que les linguistes <strong>et</strong> les psychologues <strong>de</strong> la sensori-motricité<br />

appellent « la voix intérieure ». Une chanteuse au moment où elle<br />

se produit sur scène va à la rencontre <strong>de</strong> sa voix, comme le chante Patricia Kaas<br />

dans Entrer dans la lumière: «Redécouvrir ma voix / En être encore capable… ».<br />

« Ma voix» est ici celle qui remplit la salle <strong>de</strong> concert, <strong>et</strong> la chanteuse est à ellemême<br />

son premier auditeur: la voix intérieure, une voix sour<strong>de</strong> <strong>et</strong> sans signal,<br />

précè<strong>de</strong> la parole <strong>et</strong> le chant. La parole <strong>et</strong> le chant sont le premier relais <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

voix intérieure. La métaphore du relais est à prendre au sens <strong>de</strong> dispositif technique<br />

perm<strong>et</strong>tant à une énergie relativement faible <strong>de</strong> déclencher une énerg i e<br />

plus forte <strong>et</strong> servant à r<strong>et</strong>ransm<strong>et</strong>tre un signal en l’amplifiant.<br />

Puis nous passons <strong>de</strong> la parole à l’écriture. Depuis son invention, en eff e t ,<br />

l ’ é c r i t u re était le s e c o n d relais <strong>de</strong> la voix. Mais <strong>de</strong>puis le tournant <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

1990 nous disposons <strong>de</strong> relais du t r o i s i è m e type. L’ é l e c t ronique rend possible<br />

l ’ e n re g i s t rement auditif <strong>et</strong> visuel, l’archivage <strong>et</strong> la diffusion <strong>de</strong> la vive voix, <strong>de</strong> la<br />

gestuelle qui l’accompagne <strong>et</strong> du cadre <strong>de</strong> son accomplissement (p e r f o rm a n c e) .<br />

Deux changements d’importance historique se sont produits simultanément <strong>et</strong><br />

ils se sont additionnés. Le premier est une sorte <strong>de</strong> Renaissance <strong>de</strong> la langue<br />

m a t e rnelle, le souci <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>r la diversité linguistique <strong>et</strong> l’engouement pour<br />

le théâtre, la chanson <strong>et</strong> la littérature dans les langues minoritaires ou exotiques.<br />

Le second est la diffusion <strong>de</strong> l’électronique, qui a rendu possible la création <strong>de</strong><br />

«nouvelles textualités» : les nouvelles formes d’inscription <strong>de</strong> la voix humaine sur<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> supports matériels inconnus jusqu’alors qui perm<strong>et</strong>tent aux sons <strong>de</strong> la<br />

langue natale d’être réactivés à tout instant, d’un bout à l’autre <strong>de</strong> la planète <strong>et</strong><br />

dans toutes les situations imaginables. La question <strong>de</strong> la langue maternelle est<br />

n é c e s s a i rement transformée par c<strong>et</strong>te révolution technique, qui bouleverse les<br />

rapports traditionnels entre le langage, la perception <strong>et</strong> la mémoire .

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