24.06.2013 Views

Comptes rendus des cours et conférences de l'EHESS 2004-2005

Comptes rendus des cours et conférences de l'EHESS 2004-2005

Comptes rendus des cours et conférences de l'EHESS 2004-2005

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

CR Enseignement 04-05/CC 16/02/06 15:25 Page 638<br />

638 ANNUAIRE <strong>2004</strong>-<strong>2005</strong><br />

mécénat <strong>et</strong> la philanthro p i e , <strong>et</strong>c. À rebours <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te tendance, nous nous<br />

sommes intéressés au détail <strong><strong>de</strong>s</strong> opérations les plus lucratives.<br />

Nous avons étudié la manière dont <strong>de</strong> grands hommes d’aff a i res du<br />

XX e siècle, en Europe <strong>et</strong> en Amérique, s’y sont pris pour accumuler <strong><strong>de</strong>s</strong> capitaux<br />

<strong>et</strong> passer, en moins <strong>de</strong> vingt ans, d’entreprises où l’on compte en millions à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

e n t reprises où l’on compte en milliards. Pour chaque homme <strong>de</strong> notre échantillon,<br />

nous avons <strong><strong>de</strong>s</strong>siné la courbe <strong>de</strong> croissance du chiff re d’aff a i res <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

e n t reprises sous son contrôle <strong>et</strong> calculé les taux <strong>de</strong> croissances annuels.<br />

Certaines années, ces taux atteignent 300 % ou plus, d’où la question : Quelles<br />

sont les opérations qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> telles accélérations <strong>de</strong> croissance ?<br />

Pour le savoir, nous avons lu d’un œil critique les biographies, avec une<br />

n<strong>et</strong>te préférence pour les biographies autorisées, exemptes d’interprétations<br />

malveillantes.<br />

Les résultats obtenus sont en rupture manifeste avec la vision contemporaine<br />

<strong>de</strong> l’entrepreneur <strong>et</strong> les explications dominantes <strong>de</strong> la réussite en affaires.<br />

Premièrement, à l’issue <strong>de</strong> ce travail, il paraît difficile <strong>de</strong> vouloir expliquer la<br />

réussite en affaires par l’innovation: l’innovation coûte cher, comporte <strong>de</strong> nomb<br />

reux aléas <strong>et</strong> ne rapporte <strong>de</strong> l’argent qu’à long terme. Seuls en profitent ceux<br />

qui ont les moyens <strong>de</strong> la financer <strong>et</strong> d’en gar<strong>de</strong>r le contrôle.<br />

Deuxièmement, la relation postulée par la théorie économique entre gains<br />

<strong>et</strong> risques ne semble pas très pertinente pour décrire les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> réussites en<br />

affaires, qui s’expliquent par la mise en place d’habiles dispositifs <strong>de</strong> réduction<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> risques plutôt que par une prise <strong>de</strong> risque excessive.<br />

L’homme d’affaires se définit par son aptitu<strong>de</strong> à créer toujours <strong>et</strong> partout les<br />

dissymétries les plus fortes possibles en sa faveur <strong>et</strong> à entr<strong>et</strong>enir le flou autour<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te dissymétrie, en jouant sur le caractère subjectif <strong>et</strong> changeant <strong>de</strong> la<br />

valeur <strong><strong>de</strong>s</strong> biens <strong>et</strong> sur les ambiguïtés <strong>de</strong> la morale sociale <strong>et</strong> du droit. Plus le<br />

fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> marchés est imparfait, plus la tolérance <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions est<br />

gran<strong>de</strong> à l’égard <strong>de</strong> ceux qui tirent parti <strong>de</strong> ces imperfections, <strong>et</strong> plus il y a <strong>de</strong><br />

chance pour que quelques individus vigilants, bien placés <strong>et</strong> bien informés puissent<br />

accumuler en peu <strong>de</strong> temps une masse énorme <strong>de</strong> capitaux. On peut donc<br />

d i re que si l’innovation est bien le moteur <strong>de</strong> la dynamique capitaliste, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

formes continuellement renouvelées <strong>de</strong> prédation en sont la condition <strong>de</strong> possibilité.<br />

À l’avenir, il nous semble possible <strong>et</strong> souhaitable <strong>de</strong> pousser les recherches<br />

plus loin dans ce sens, pour donner à la chrématistique (l’art d’acquérir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

richesses, selon la terminologie d’Aristote) toute son importance en tant que fait<br />

social, au lieu d’en abandonner l’analyse aux seuls économistes. Selon un programme<br />

déjà énoncé à <strong>de</strong> multiples reprises, il s’agit <strong>de</strong> dépasser un état <strong>de</strong> la<br />

division du travail intellectuel où les sociologues étudient le côté mondain <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

affaires, les psychologues les ressorts cachés du lea<strong>de</strong>rship <strong>et</strong> les économistes<br />

les échanges économiques « à l’état pur ».<br />

Il s’agit aussi d’aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la monographie. Historiens <strong>et</strong> sociologues<br />

s ’ e ff o rcent <strong>de</strong> décrire les particularités culturelles, sociales, politiques, géographiques,<br />

techniques <strong><strong>de</strong>s</strong> milieux d’aff a i res qu’ils étudient. Cependant, par- d e l à<br />

les lieux <strong>et</strong> les pério<strong><strong>de</strong>s</strong>, il convient nous semble-t-il <strong>de</strong> saisir ce que les

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!