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Ville

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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />

Nantes, cité du progrès dans l’imaginaire de l’urbanité façonné aussi bien<br />

par les citadins que par les fantasmes de la population rurale, se trouve démasquée<br />

par le discours dénonciatoire du narrateur, qui anathématise l’amoralité, l’incurie et<br />

l’appât du profit de ses notables. Du coup, se déchiffre le caractère peut-être arriéré<br />

des bourgs de campagne, mais il s’agit là d’un archaïsme rustique que rachètent<br />

largement une honnêteté et une franchise toutes paysannes. Nantes, cité du progrès,<br />

cité de tous les pouvoirs. Nantes, ville trompeuse, ville dangereuse !<br />

Nous avons pu constater jusqu’à présent dans le discours du narrateur, que<br />

les valeurs urbaines s’opposent fortement aux valeurs rurales, mais que les<br />

premières ne sortent pas grandies de cette confrontation. Cette dernière se révèle<br />

souvent radicale dans l’œuvre romanesque de Rouaud, suffisamment manichéenne<br />

en tout cas pour que la mère apparaisse comme une figure atypique, cristallisant<br />

dans sa seule personne le dépassement des contradictions opposant l’urbain et le<br />

rural.<br />

DU PETIT-LOUP CHÉRI À LA SILHOUETTE OMBREUSE ET<br />

OPINIÂTRE<br />

La mère, personnage central du roman Pour vos cadeaux, est quant à elle<br />

une personnification intéressante de la figure de l’exception. Dès sa jeunesse, elle se<br />

trouve déplacée dans l’environnement scolaire où elle évolue. Elle doit cette<br />

situation aux ambitions de son père qui, par son métier de tailleur, fréquentait des<br />

gens de condition supérieure à la sienne, ce qui ouvrait ses yeux à d’autres systèmes<br />

de valeurs. De là, sa fréquentation de la fameuse institution nantaise. Probablement<br />

le père y voyait-il une possibilité d’ascension sociale parfaitement légitime pour sa<br />

fille :<br />

« Françoise d’Amboise, 11, rue Mondésir, c’était une lubie d’Alfred, à qui<br />

son élégance vestimentaire et la fréquentation par son métier des classes supérieures<br />

avaient donné des idées de grandeur. » (Cadeaux, p. 41).<br />

Alors que le narrateur bénéficie, dans sa pension nazairienne, du triste<br />

statut d’orphelin de père aux origines sans éclat, la mère est en quelque sorte un<br />

corps étranger dans le vivier de Françoise d’Amboise, pensionnat nantais ayant<br />

comme objectif essentiel la reproduction des valeurs des classes dominantes :<br />

« Car notre maman était une anomalie dans cette institution, dont la<br />

principale fonction était de servir d’antichambre aux jeunes filles de bonne famille<br />

en attente d’un beau mariage. » (Cadeaux, p. 41)<br />

Anne/Annick n’a cependant pas dérogé aux règles d’homogamie : « […]<br />

les règles du jeu social furent respectées, il n’y eut pas mésalliance : la fille du<br />

tailleur épousa le fils du marchand de vaisselle. » (Cadeaux, p. 41) Toutefois, ce<br />

mariage représente d’une certaine manière un déclassement par rapport à la vie<br />

menée dans son enfance sous le toit de son père, tant il est vrai que sa famille ne<br />

partage pas la petite vie des artisans établis dans un bourg rural, même important. Le<br />

train de vie, les amis fréquentés, les occupations culturelles extraient la famille<br />

Burgaud/Brégeau de ce qui caractérise habituellement son milieu :<br />

« On comprend donc la crainte du jeune homme […] que sa fraîche épouse<br />

[…] ne se cabre devant les perspectives d’une existence sans envergure. Pour elle,<br />

fini les soirées musicales, les tablées animées de beaux esprits, les services de<br />

Madeleine Paillusseau, les heures de piano. » (Cadeaux, p. 77)<br />

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