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Ville

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LES EMPREINTES DE LA VILLE : ECRITURE DE L’ESPACE URBAIN…<br />

d’écriture, surtout à notre époque hyper-médiatisée qui est pour César Aira<br />

une grande source de réflexion sur l’écriture elle-même :<br />

Il fut un temps où il était possible de faire un récit simple,<br />

immédiatement compréhensible. Mais aujourd’hui, avec la télévision, le monde<br />

débordait d’histoires entremêlées, en suspension dans l’air, qui s’accumulaient<br />

d’une manière si prodigieuse qu’elles ne valaient plus rien, ne signifiaient plus<br />

rien, comme un champ de distraction multidimensionnel 1 .<br />

L’excès de langages entrecroisés tue-t-il le sens ? Ecrire la ville,<br />

c’est peut-être d’abord entrer dans ce labyrinthe, s’y perdre pour ensuite<br />

déchiffrer puis réécrire et marquer ainsi de son empreinte personnelle<br />

l’œuvre, espace de langage auquel on donne un sens et que l’on offre à lire 2 .<br />

Dans un roman intitulé La Couturière et le Vent, un paradoxe oppose la ville,<br />

espace de silence, et le désert patagonien, espace de parole : dans le premier<br />

cas, le narrateur expérimente l’angoisse de l’impossibilité de se faire<br />

entendre des autres hommes dans la barbarie humaine de la ville ; dans le<br />

second, le désert est le royaume d’un vent personnifié et très bavard qui<br />

accompagne la trajectoire et le destin de quelques personnages en fuite,<br />

disséminés dans cet espace infini et silencieux mais qui porte<br />

irrémédiablement l’empreinte de la civilisation par le dialogue rationnel de ce<br />

vent avec les hommes.<br />

La traditionnelle opposition pampa/ville se retrouve inversée, et<br />

la civilisation semble imposer son schéma, mais la lutte est très créatrice, à<br />

l’image de la première ville fondée par Caïn… Les romans urbains airiens se<br />

terminent souvent par des combats de géants, monstres ou robots hypermécanisés<br />

qui plongent la ville dans le chaos, démolissant ce qui fait sa<br />

structure même : destructions de murs, d’édifices, carambolages, extinctions<br />

électriques générales, suivis d’une fuite ou d’une élévation silencieuse dans<br />

le ciel des « causeurs de trouble », dans un climat de fin du monde. Peut-être<br />

ces scènes apocalyptiques représentent-elles l’acte destructeur d’un ordre<br />

cosmique comme condition préalable de recréation… (le roman suivant, pour<br />

César Aira 3 …).<br />

Pour César Aira, celui qui change de thème dans une<br />

conversation, par exemple, détient un pouvoir. Le pouvoir de l’écrivain serait<br />

celui qu’il exerce par son acte créateur et recréateur. Par son art de mener un<br />

récit, il défie, déconstruit ou réordonne à l’infini l’enchevêtrement des<br />

langages culturels qui sillonnent la ville. Il n’a même pas besoin pour cela de<br />

briser les murailles de la cité, puisqu’elles ne s’opposent pas à l’expansion de<br />

l’imaginaire…<br />

L’attitude dite « civilisée », polie, qui correspond au sens<br />

étymologique de « polis », n’est-elle pas un mirage dans la géométrie<br />

rationnelle de la ville ? César Aira parle du tiraillement qui existe chez l’être<br />

1 La Guerre des gymnases, p. 41.<br />

2 Les langages de la ville de Buenos Aires se lisent aussi dans la richesse de sa tradition<br />

historique et littéraire, au point que le lecteur de Borges, par exemple, qui arrive dans la capitale,<br />

peut avoir l’impression de se retrouver tout à coup dans un poème ou une nouvelle borgésiens,<br />

d’y reconnaître plus ou moins des atmosphères préalablement lues, dans un mouvement de la<br />

fiction vers la « réalité »… et vice versa…<br />

3 Le mouvement permanent, le continu et le paradoxe marquent cette écriture qui met en scène sa<br />

propre genèse, comme le montre bien l’analyse de Margarita Remón Raillard dans sa thèse,<br />

César Aira o la literatura del continuo (1999).<br />

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