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Ville

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NI DE LA VILLE, NI VRAIMENT DE LA CAMPAGNE, CHARLES BOVARY…<br />

et le plaisir […comme] chez les autres animaux » 1 évolue chez l’homme pour<br />

devenir « la parole [servant] à exprimer l’utile et le nuisible, aussi bien que le juste<br />

et l’injuste. Car l’homme se distingue des autres animaux en ce qu’il est le seul à<br />

avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et autres notions<br />

morales. C’est la mise en commun de ces valeurs qui fait la famille et la cité. » 2<br />

« Charbovari » (dans les « scénarios » Flaubert commence par écrire<br />

« Charbovarri »), ce mot qui est plus un cri que la réponse à un appel nominatif, est<br />

la seule réponse immédiate possible de Charles pour énoncer sa vérité identitaire,<br />

une vérité qu’il ne peut que bredouiller, en la faisant sonner comme l’écho des mots<br />

« charivari » (le chahut) et charabia (l’inintelligible). C’est aussi la forme prise pour<br />

exister dans un espace qui lui est étranger, son bredouillement étant un moment<br />

sémiotique dont Lacan dirait qu’il exprime la volonté du sujet de dire qu’il est<br />

« l’Autre ». Par « charbovari » il tente de passer du cri à la parole, et d’instituer une<br />

structure linguistique par laquelle il affirme son existence humaine. Cet univers de<br />

la parole dans lequel il est pris, peut se diviser en unités discrètes :<br />

/intelligible/vs/inintelligible/et/autorité/vs/exécutant/, l’espace discursif se<br />

« verticalisant » puisque la voix du maître, qui crie « Plus haut ! » est identifiée à<br />

celle du dieu Neptune pour arrêter le chahut, les rires, « la bourrasque », voire le<br />

charivari, provoqués par le « charbovari ! […] lancé à pleins poumons ». La<br />

comparaison que fait le narrateur avec le « quos ego » de Neptune 3 ne fait que<br />

stigmatiser un peu plus la pauvreté du discours de Charles par rapport à celui de la<br />

voix énonciatrice qui fréquente Virgile… Moment terrible et déterminant pour la<br />

suite car par le truchement du narrateur on peut considérer que le destinateur fait en<br />

quelque sorte le geste de monstration qui s’articule avec la nomination : il nous<br />

montre Charles et son incompétence. C’est alors un véritable chemin de croix qui<br />

commence pour le nouveau qui va recevoir une punition dès son entrée au collège,<br />

punition qui sanctionne non seulement son faire maladroit, mais encore son être<br />

insignifiant.<br />

5. LE « NE PAS POUVOIR DIRE » DE CHARLES<br />

Phrase 27 : « Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom<br />

inintelligible »<br />

Phrase 29 : « Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert<br />

par les huées de la classe » ;<br />

Phrase 31 : « Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une<br />

bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un, ce<br />

mot : CHARBOVARI »<br />

Phrase 36 : « ‘ma cas…’ fit timidement le nouveau ». 4<br />

Charles est à la limite de la voix et de la parole, cette dernière étant encore<br />

engluée dans l’inarticulé vocal (« Charbovari ») ou inachevée (« ma cas »).<br />

A l’anti-sujet qu’est le maître d’études, le sujet Charles accepte de répondre<br />

en coordonnant deux modalisations : /devoir faire/et/vouloir faire/. A aucun moment<br />

1 Aristote – « La politique » — Hermann – 1996 p. 4<br />

2 — Ibid.<br />

3 Virgile – « L’Enéide » livre premier — vers 139<br />

4 -Phrases numérotées à partir la première du roman.<br />

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