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ECOLE DE BUJUMBURA, ECOLE DE LA FUITE VERS UN « AILLEURS »<br />
paralysie, une désintégration, un divorce entre les éléments : que ce soit le<br />
fonctionnaire révolté, que ce soit l’étudiant aux abois, chacun est aplati 1 .<br />
Le fils de ce genre d’école déculturante et destructurante risque<br />
ainsi de s’épuiser et de s’écraser sous le poids de son ambivalence. Il a été<br />
éduqué dans une ignorance calculée de ses valeurs et, progressivement,<br />
tout lui paraît opaque dans la tradition de son peuple. Il devient défaitiste,<br />
quant à sa propre capacité de création dans son pays. Il a perdu confiance<br />
dans le rôle historique de sa patrie.<br />
La conséquence douloureuse, c’est qu’il ne sait de quel système de<br />
référence s’inspirer pour motiver son action. Il nage dans un vide culturel et<br />
axiologique béant. Il subit une crise généralisée des valeurs. Que fera-t-il ? Il<br />
cherchera alors à s’assurer au moins de l’immédiat. Et pour cela, il se mettra<br />
à l’affût des modèles de toute provenance et importera telles quelles des<br />
institutions culturelles étrangères, fussent-elles inadaptées. Il se<br />
préoccupera très peu du fait qu’elles sont le fruit naturel de l’histoire et de la<br />
culture de contrées lointaines. Toutefois, il doit combler, dans l’immédiat,<br />
son vide, en gobant tout ce qu’il reçoit d’un ailleurs inconnu.<br />
On pouvait s’attendre à ce que l’indépendance amorce une solution à<br />
ce vide ; à ce qu’un mouvement culturel s’amorce pour approfondir la<br />
revendication de respect. Hélas, la conscience assimilée n’a pas su par où<br />
commencer ! La recherche de survie, dans l’immédiat, a pris le dessus et a<br />
mobilisé toutes les forces intellectuelles 2 .<br />
Pour bien creuser ce phénomène, revenons à une des expressions<br />
vues plus haut : «Kurahura umutima», c’est-à-dire aspirer le cœur de<br />
quelqu’un et faire en sorte qu’il voit s’éloigner de lui, son centre de<br />
gravité : qu’il le place en dehors de soi. On emploie cette expression, surtout<br />
à propos d’un enfant qui va trop souvent manger dans une autre famille. On<br />
lui dira : «Barakurahuye umutima». Cela signifie : on a aspiré ton cœur et on<br />
l’a emporté chez soi. Maintenant tu ne peux rester tranquille, ton cœur est<br />
loin de toi. C’est le reproche le plus poignant que l’on puisse adresser à<br />
quelqu’un. L’un ou l’autre intellectuel prend conscience de cette aliénation.<br />
Il sait bien qu’il ne suffit pas de connaître les lois de la nature pour réaliser un<br />
progrès, fut-il économique 3 qu’il est fréquent de voir que souvent le peuple<br />
défier planificateurs, bureaucrates et techniciens ; qu’il faut intégrer les<br />
connaissances techniques dans un tout organique, qui oriente, canalise et<br />
unifie les éléments : un tout qui personnalise et mobilise, le citoyen, non pas<br />
comme objet, mais comme sujet de développement 4 .<br />
Toutefois, un demi-siècle après, aucun intellectuel de Bujumbura<br />
n’échappe à l’analyse de Senghor :<br />
1 Cf. Déo NSAVYIMANA, « Comment sortir le système d’enseignement actuel de l’impasse »,<br />
in ACA, 1997/2-3, pp. 201-227.<br />
2 Cf. Zénon MANIRAKIZA, « La mentalité belliqueuse au Burundi : jeunesse prise au piège »,<br />
in ACA, 1997/1, pp. 3-52.<br />
3<br />
Cf. Remi NAHIMANA, «Détérioration de la relation entre éducation et jeunesse», in ACA,<br />
1997/2-3, pp. 408-423.<br />
4<br />
Cf. Philippe NTAHOMBAYE, « Ouvrir de nouveaux horizons pour apprendre », in<br />
ACA,1997/2-3, pp. 424-426.<br />
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