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Ville

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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />

provocateurs comme " Mini-cité Taliban ", " Mini-cité Bin Laden "<br />

(résidences d’étudiants).<br />

Le toponyme, dans ce contexte, ne se réduit plus seulement à la<br />

désignation de l’espace topique (l’Ici), mais révèle des espaces convoqués<br />

d’ailleurs. Ce sont ces réalités étrangères qu’il s’approprie et auxquelles il<br />

attribue de nouvelles fonctions. Mais dans ce paysage hétéroclite caractérisé<br />

par un dénivellement des compétences, et où l’analphabétisme frappe encore<br />

une bonne frange de la population, on peut de toute évidence s’interroger sur<br />

l’aventure du signe toponymique dans le projet de communication dans la<br />

ville au Cameroun.<br />

4. VERS L’ECHEC DE LA COMMUNICATION ?<br />

Le toponyme comme tout énoncé, en effet, est un acte de langage,<br />

un produit fabriqué en vue d’une consommation. Il n’est donc pas produit<br />

pour lui-même, mais est, comme le dit Charaudeau (1983 : 50), une<br />

" expédition " sémantique et une "aventure " pragmatique, c’est-à-dire<br />

constamment hanté par la peur de ce que Jacques Derrida (cité par<br />

F.Shuerewegen, 1988 : 252) appelle " le-pouvoir-ne-pas-arriver ". De là,<br />

nous pouvons dériver trois figures de lecteurs possibles qui décident<br />

quotidiennement, de la réussite ou non du projet de communication que<br />

charrie le toponyme et de sa survie en tant que phénomène social :<br />

D’abord un lecteur compétent et performant 1 , celui-là qui est<br />

capable de déchiffrer le toponyme en tant qu’énoncé grammaticalement<br />

construit, et de traquer toutes les connotations culturelles qui l’accompagnent<br />

éventuellement. C’est celui qui verrait dans " Night-club Sainte-Thérèse "<br />

par exemple, une allusion ironique à la sainteté comme valeur<br />

théologiquement ritualisée. Il percevrait aussi dans " Matango : pour une<br />

joie éphémère chez Loum’s ", " Matango : on entre OK et on sort KO",<br />

outre l’indication d’un lieu de consommation d’alcool, l’évocation du<br />

fallacieux exutoire, de la fausse valeur-refuge que représentent les beuveries.<br />

Ce dernier serait également capable de rattacher le toponyme " Mini-cité<br />

Taliban " à l’actualité brûlante ou " Le Pentagone " à une opération de<br />

métonymisation du pouvoir militaire américain.<br />

Ensuite un lecteur tout simplement compétent, juste capable de lire<br />

le toponyme de façon horizontale (degré zéro), comme une indication<br />

renvoyant stricto sensu à l’espace désigné. Il n’aura pas conscience des sens<br />

inférés, des connotations dérobées sous l’explicite. Pour ce lecteur à qui<br />

échappe la performance, il ne sera pas possible de s’interroger sur ces<br />

mécanismes insolites de référentiation. Cependant, il sera, comme le<br />

précédent, tout de même capable de retrouver, grâce aux toponymes, ses<br />

voies et ses repères dans l’espace urbain.<br />

Enfin un troisième type de lecteur passif, qui n’a ni la compétence ni<br />

la performance nécessaires pour déchiffrer et comprendre les sens inférés par<br />

et dans le système de désignation des espaces (adressage). C’est justement au<br />

regard de cela que le projet initial du toponyme semble se désagréger. S’il<br />

cesse d’être un discours finalisé faute de récepteur compétent et performant<br />

1 Nous empruntons à la dichotomie chomskienne compétence/performance.<br />

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