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LE FANTASME DE LA TOUR DE BABEL…<br />
Il en résulte un itinéraire réflexif, marqué par une temporalité<br />
spéculaire. L’enchâssement inaugural du roman 1 est transposé à l’écran à<br />
travers le jeu de télescopage du Passé et du Présent qui semblent se refléter<br />
l’un dans l’autre. Ces annaux chronotopiques laissent surgir un espace-temps<br />
allégorique où résonnent en écho les voix acousmatiques de l’enfance.<br />
L’imbrication des sphères peut alors se déployer en surface et en<br />
profondeur, selon une cosmogonie vertigineuse où « chaque homme se donne<br />
pour centre à l’univers » 2 . Le système micro/macrocosmique du roman, tel<br />
qu’il s’affiche dans le chapitre inaugural, trouve un équivalent<br />
cinématographique dans l’utilisation de la troisième dimension. Le paysage<br />
aux trois arbres, dans sa finitude et son universalité, permet au cinéaste de<br />
transférer les codes littéraires propres à la quête alchimique.<br />
La spirale et son envers invisible construisent donc un espace<br />
initiatique fondé sur la bipolarité. Les jeux spéculaires qui encadrent le<br />
roman de Marguerite Yourcenar 3 mettent en place une esthétique réflexive,<br />
prolongée à l’écran par la technique du clair-obscur : les images du générique<br />
s’assombrissent progressivement, comme pour refléter en négatif un parcours<br />
débuté en pleine lumière. Ce passage symbolique dans les zones interdites<br />
parfait une configuration à la fois magique et maléfique, qui pourrait remettre<br />
en question les codes de représentation de la ville.<br />
***<br />
Une esthétique hybride semble naître de la spirale, figure<br />
emblématique qui émerge au centre de L’Œuvre au Noir sous la forme de<br />
l’athanor ; la dualité du support alchimique permet d’appréhender la ville<br />
comme l’espace d’une quête ambivalente.<br />
Figure spéculaire, l’athanor reflète l’envers et l’endroit d’un<br />
itinéraire individuel et collectif. L’étuve imaginée par Zénon infuse et diffuse<br />
les ondes d’une conscience révoltée, cernée par la ville. Les circonvolutions<br />
de Zénon dans la chambre magique renvoient à une quête identitaire et<br />
cosmique :<br />
« L’étuve abandonnée était vraiment une chambre magique ; la<br />
grande flamme sensuelle transmutait tout comme celle de l’athanor<br />
alchimique et valait qu’on risquât celle des bûchers » 4 .<br />
Figure du double, l’athanor intériorise la configuration externe de<br />
l’hélice, avec un effet d’enroulement et d’imbrication autour d’un même axe.<br />
La grande flamme yourcenarienne qui vectorise la dynamique hélicoïdale est<br />
transposée à l’écran à travers la spirale des vapeurs s’élevant au-dessus des<br />
pierres chaudes. Ces effets de volutes sont de plus redoublés par le<br />
mouvement tournant de la caméra.<br />
Figure de transformation, l’athanor organise la réversibilité des<br />
forces ascendantes et descendantes, pour une redistribution des valeurs<br />
1 La fiction romanesque se caractérise en effet par une construction analeptique qui permet de<br />
revenir vingt ans en arrière sur l’enfance de Zénon. Cette structure en chassé-croisé creuse en<br />
abyme la temporalité du texte yourcenarien.<br />
2 M. Yourcenar, op. cit., p. 18.<br />
3 Le système métaphorique des paratextes yourcenariens redouble en effet le texte romanesque<br />
grâce à un jeu de citations en miroir. Les formules alchimiques se répondent en écho,<br />
instaurant ainsi une mise à distance onirique de l’œuvre.<br />
4 M. Yourcenar, op. cit., p. 304.<br />
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