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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
«Dans notre formation, nous acceptions docilement les valeurs de<br />
l’Occident (…) Notre ambition était de devenir des négatifs des<br />
colonisateurs (…) ; nous acceptions d’être une table rase, une race,<br />
presque un continent qui, pendant deux mille ans, n’avait rien pensé,<br />
rien senti, rien écrit, rien peint ni sculpté, rien chanté, rien dansé.<br />
Un néant au fond de l’abîme, qui ne savait qu’implorer et recevoir :<br />
une cire molle…» 1 .<br />
De la sorte, à travers un verbalisme intarissable, l’apprenant de<br />
Bujumbura, se voit obligé d’être un consommateur insatiable des cultures<br />
élaborées par des gens qui, dans leur réflexion, n’ont jamais tenu compte de<br />
son existence.<br />
C’est la structure même de sa conscience et de son intégration<br />
humaine, qui a été ébranlée, avec le scepticisme et la paralysie qui s’en<br />
suivent.<br />
3. LE SCEPTICISME ET LA PARALYSIE, ENGENDRES PAR<br />
L’ECOLE DE LA FUITE VERS UN AILLEURS 2<br />
Comme il vient d’être stipulé, l’homme, pour motiver ses actions, a<br />
besoin de bien plus que des connaissances. Il a besoin d’une formation<br />
intégrée, qui fasse le joint entre la culture scolaire et l’éducation par le<br />
milieu. Le langage est clair au Burundi, à ce sujet.<br />
- « Indero iva hasi »<br />
« L’éducation doit partir de la base »<br />
- « Indero iva i muhira »<br />
« C’est dans le milieu familial que se réalise la vraie éducation ».<br />
Or, dans l’école de la fuite vers un ailleurs, l’apprenant est<br />
systématiquement transplanté dans un monde qui n’est pas le sien et où il<br />
ne peut être de plein pied.<br />
Les conséquences en sont là. L’apprenant perd de plus en plus<br />
confiance dans la créativité de sa nation. Dans sa langue maternelle, il ne voit<br />
qu’un vulgaire instrument de communication, incapable d’être un foyer de<br />
culture. De son pays, il n’espère plus rien tirer 3 .<br />
Il attendra alors des solutions de « prêts-à-porter »,<br />
manufacturés dans un « ailleurs » inéluctable. Il est un vide à combler : un<br />
amas de cendres que la flamme a quitté. D’au-delà des mers, il attendra le<br />
nécessaire pour s’engager : les idées, les énergies morales… Il finira par<br />
rêver un paradis imaginaire. En attendant, il apprend à être de la cire molle,<br />
prête à prendre n’importe quelle forme. Il courra à l’aventure. Il deviendra<br />
1 Léopold Sédar Senghor, « Teilhard de Chardin et la Politique Africaine », in Cahier P.<br />
Teilhard de chardin n° 3, Editions du Seuil, Paris, 1962, p. 17.<br />
2 Les affirmations du présent chapitre résultent d’une recherche faite antérieurement par l’auteur<br />
de ses lignes. Cf. A. NTABONA, « L’éducation aux valeurs à l’école au Burundi : une impasse à<br />
conjurer », in ACA, 1999/1, pp. 29-45. Voir aussi Hilaire NTAHOMVUKIYE, métissage<br />
linguistique, métissage culturel pour la gestion pédagogique », in ACA, 1999/1, pp. 87-113.<br />
3 Voir à ce sujet Domitien NIZIGIYIMANA, « L’éducation aux valeurs, c’est quoi ? », in<br />
ACA,,1999/1, pp. 45-56. Un ouvrage a posé cette question en termes poignants. N. KAMANA,<br />
L’Afrique va-t-elle mourir ? Essai d’éthique politique, Ed. Karthala, Paris, 1993, 218 p.<br />
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