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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
Says Goodby » diffusé par David Goldman, responsable du site. Cet adieu adressé<br />
aux visiteurs fidèles prend la forme d’une bonne nouvelle : « Nous croyons que<br />
nous avons réussi la mission que nous nous sommes proposée : éduquer la<br />
communauté des internautes en matière de fanatisme (bigotry) et leur donner les<br />
moyens de le combattre » (traduction personnelle). Selon David Goldman, les<br />
groupes racistes se seraient lourdement trompés de médium. En forçant les portes<br />
des gens ordinaires via le Web, ils auraient transformé ces derniers en activistes<br />
anti-haine. De toute évidence, ce message optimiste prouve à quel point le<br />
maniement de ce nouvel instrument d’information peut nous éloigner de la réalité<br />
des faits : le nombre des sites racistes et néonazis ne cesse d’augmenter.<br />
Cela nous amène à formuler un dernier constat : l’idéologie sous-jacente à<br />
nos sociétés de communication d’aujourd’hui et de demain puise ses racines dans la<br />
Shoah. Les cybernéticiens du Massachusetts Institute of Technology rassemblés<br />
autour de Harald Wiener, émigré autrichien, avaient multiplié leurs recherches en<br />
apprenant la nouvelle des déportations massives vers la Pologne occupée en 1942.<br />
Leur idée était de mettre en rapport le plus grand nombre d’acteurs sociaux afin de<br />
combattre la politique du secret et de la stratification sociale caractéristiques des<br />
régimes totalitaires 1 . Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui la mise en<br />
œuvre des réseaux d’information n’a pas su éviter le pire : Srebrenica restera dans<br />
notre mémoire coupable et la diffusion du déni de la Shoah est une preuve<br />
supplémentaire d’un phénomène paradoxal : ce qui a été conçu pour éradiquer<br />
l’inhumain s’est transformé en vecteur d’inhumain, dont l’oubli propagé par les<br />
sites négationnistes paraît une composante importante 2 .<br />
Ainsi, la diffusion des discours sociaux imprégnés des thèses<br />
négationnistes rappelle que nos pratiques de lecture, nos modes d’acquisition et de<br />
validation du savoir et nos concepts de la vie sociale doivent tenir compte des<br />
enjeux posés par les nouveaux médias de communication. Alors que des méthodes<br />
d’analyse appropriées font encore largement défaut, notamment dans les sciences<br />
humaines, l’opinion – terrain de tous les affrontements idéologiques – est exposée à<br />
un flux d’informations qu’elle ne peut canaliser, faute d’une pratique culturelle<br />
suffisante. Les discours haineux des négationnistes ont pu s’emparer d’un espace<br />
public en devenir, profitant de la fragmentation de nos sociétés et de la percée de<br />
l’idéologie libérale qui prône le "tout peut être dit", favorisant un "tout est permis".<br />
En jetant un regard de rhétoricien sur les sites Internet des négationnistes<br />
tels qu’ils se présentent aujourd’hui, nous voudrions proposer un tour d’horizon<br />
d’un activisme idéologique dont nous avons pu croire qu’il était en train de<br />
s’essouffler, faute de nouveaux adhérents. Cependant, cette impression demandera à<br />
être nuancée pour deux raisons : d’une part, le Web est en constante évolution. Le<br />
succès d’un site, mesuré par le nombre de visiteurs (mesure non fiable), dépend<br />
largement de sa capacité à s’adapter aux exigences inconstantes d’un public qui<br />
réclame de plus en plus une participation active. D’autre part, l’internationale<br />
négationniste opérant sur le Web s’est spécialisée dans différents domaines du<br />
1 Nous nous référons à l’ouvrage de P. Breton intitulé L’utopie de la communication (1997).<br />
2 V. Igounet, dans son livre de référence intitulé Histoire du négationnisme en France (2000), dresse le<br />
bilan historique de l’idéologie négationniste en France, rappelant qu’au-delà des clivages politiques, le<br />
déni de la Shoah fait écho à l’histoire séculaire de l’antisémitisme. Voir également P.-A. Tagieff, La<br />
couleur et le sang. Doctrines racistes à la française (1998) et D. E. Lipstadt, Denying the Holocaust<br />
(1993).<br />
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