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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
2. LE TAG : UNE ÉCRITURE URBAINE AVEC DES TERRITOIRES<br />
GRAPHIQUES<br />
2.1. Le tag et la ville<br />
Indissociable de l’espace urbain 1 , toponyme dans le système<br />
topographique américain, il devient anthroponyme parce que le repérage des<br />
scripteurs était devenu trop flagrant. Le numéro de rue accompagnant le tag<br />
servait à repérer et localiser les individus 2 . Mais « contrairement aux tagueurs<br />
américains qui exportent symboliquement leur rue et leur quartier dont ils<br />
font partie, les tagueurs français n’ont rien à dire sur leur lieu d’origine ». 3<br />
D’une manière générale, « les graffitis sont souvent dans des no man’s<br />
land », des espaces inappropriés qui nous surprennent toujours. Toutefois,<br />
leur disposition dans la ville n’est pas aléatoire car « ils obéissent à une<br />
occupation méthodique de l’espace urbain ». 4<br />
Une pratique de terrain quotidienne de la ville m’a permis de me déplacer<br />
vers ces lieux, ces non lieux, territoires neutres ou abandonnés occupés par<br />
les tags ; dans des zones pas ou peu éclairées, désaffectées ou en friche.<br />
Alain Vulbeau, note que « les tags sont souvent dans des lieux où personne<br />
ne songeait à aller en temps normal ; tout au moins dans des lieux où il est<br />
souvent difficile de les voir ou de s’installer pour les voir. » 5 J’ai donc appris<br />
à regarder et à pratiquer la ville comme ces écrivants dont les inscriptions se<br />
logent dans le système topographique sans l’occuper totalement. En effet, si<br />
elles s’accumulent dans des zones singulières, en général on les trouve dans<br />
des parties limitées, dans différents secteurs distants entre eux, regroupés aux<br />
environs et aux abords périphériques de la ville, dans son centre, dans<br />
certains quartiers. Leur répartition induit une autre disposition et organisation<br />
spatiale que j’ai essayé de déterminer pour définir les espaces constitués par<br />
les tags. Le tagueur construit des territoires avec ses inscriptions et utilise le<br />
réseau de circulation pour s’approprier la ville qui devient un espace<br />
d’écritures.<br />
2.2. Les territoires graphiques du tag : « des espèces d’espaces »<br />
Pratique d’écriture révélant une pratique spatiale particulière, le tag donne<br />
à lire une autre spatialité urbaine en créant des « espèces d’espaces » aux<br />
1 . La manière d'occuper et de s'approprier les espaces a donné lieu parfois à certaines<br />
excentricités de la part de tagueurs qui voulaient se démarquer dans le but d'un performance<br />
graphique et dans l'optique de défi (qui existait au début du mouvement Hip hop ) en plaçant<br />
leur tag dans des endroits particuliers comme les toits d'immeubles, où des lieux difficiles d'accès<br />
et peu fréquentés.<br />
2 . En France, le système topographique est différent, ce sont les noms et les numéros de rue qui<br />
servent d’identification et de repère dans l'espace urbain. Le chiffre dans les tags français,<br />
héritier du modèle américain, ne possède aucune relation précise du point de vue spatial avec une<br />
quelconque répartition territoriale.<br />
3 . Alain VULBEAU, Op; Cit., p. 63.<br />
4 . Hugues Bazin, La culture Hip Hop, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, p.192. Extrait<br />
d’interview d'un graffeur JEAX “ la place du tag est faite en fonction du lieu () plus il y a<br />
d'intersections et de correspondances sur la ligne (RER), mieux c'est. C'est pour ça que par<br />
exemple la ligne 1 et 3 à Paris sont des lieux de passage obligé ”.<br />
5 . Alain Vulbeau., du tag au tag, Desclée de Brouwer, Paris, 1992, p. 64.<br />
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