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Ville

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ECOLE DE BUJUMBURA, ECOLE DE LA FUITE VERS UN « AILLEURS »<br />

une brebis errante, qui suivra le premier venu. Sa mentalité court le danger<br />

d’une pulvérisation, lente, mais sûre, jusqu’à ce que paralysie s’en suive.<br />

Prenons un exemple. Quand vous demandez à un apprenant de<br />

Bujumbura pourquoi il apprend, il vous répond en disant : « pour avoir un<br />

diplôme ». Si vous lui demandez : « un diplôme pour quoi faire » ? Il vous<br />

répondra que c’est pour s’en servir comme laisser-passer, en vue de<br />

l’acquisition d’une carrière, conçue elle-même, avant tout, comme une<br />

acquisition d’un avoir. Un avoir, pourquoi ? Pas nécessairement pour<br />

développer son pays, mais pour figurer en compagnie de « gens bien »,<br />

c’est-à-dire faire un peu quelque chose ; et boire sa bière au sortir du bureau,<br />

faute d’être parti vers un ailleurs plus enchanteur.<br />

Pour avoir ce laisser-passer, il doublera, triplera, trichera…<br />

C’est ainsi qu’on a, au primaire, des élèves en âge de se marier et, au cycle<br />

inférieur, des jeunes qu’on éduque comme des enfants, alors qu’ils sont à<br />

l’âge d’être parents. A l’Université l’on a des apprenants qui, depuis bien<br />

longtemps, devaient être des collègues ; des adultes qui sont socialement<br />

contraints à garder un esprit scolaire d’adolescents, alors qu’ils ont l’âge<br />

d’être des Sages/Bashingantahe, bien chevronnés 1 .<br />

Ce qui est le plus cuisant, toutefois, c’est que ce souci de recevoir<br />

le laisser-passer prime sur l’acquisition d’un savoir-faire et d’un savoirêtre,<br />

bref d’une véritable compétence. D’où un vaste malentendu. Les<br />

formateurs disent vouloir former. Mais l’important, pour l’apprenant, c’est<br />

avant tout d’avancer d’année, par la tricherie s’il le faut ; même, parfois, par<br />

la corruption ou la menace de l’éducateur, pour avoir le fameux diplôme<br />

« laisser-passer… », permettant d’accéder à un mode de vie, plus fondé sur<br />

le paraître que sur l’être ; et permettant une éventuelle recherche d’un<br />

ailleurs.<br />

Réellement cette question de la compétence, conçue comme un<br />

savoir-être ne semble même pas envisagée par l’apprenant. Il veut figurer<br />

parmi les nombreux lauréats. Peu importe ce qu’il est capable de faire et<br />

d’être. Peu importe ce qu’il aura comme métier. Finalement, c’est un<br />

problème d’un système éducatif, qui tourne à vide. L’école primaire sait<br />

pertinemment qu’elle forme des chômeurs en masse ; mais elle continue à le<br />

faire, tout bonnement. Il y a eu des efforts pour préparer les enfants à la vie<br />

dès cet âge-là, mais les réclamations ont été tellement nombreuses, au cours<br />

du temps, qu’on y a renoncé, pour revenir à une école primaire, anti-chambre<br />

d’une école secondaire, conçue en plus, dans le sens d’une émigration<br />

culturelle pure et simple 2 . Or, on sait pertinemment que cette école<br />

secondaire ne sera atteinte que par une infime minorité, triée sur le volet.<br />

Pour accroître alors le nombre de candidats au secondaire, l’on a<br />

augmenté le nombre de lycées et de collèges surtout à Bujumbura. De la<br />

sorte, le résultat risque d’être une école secondaire, qui produit, à son tour,<br />

des chômeurs en masse : sans qualification ni débouchés ; et peut-être une<br />

1 Cf. A. NTABONA, «Jeunesse burundaise, jeunesse en danger d’implosion», in ACA, 1997/1, p.<br />

1. Le n° 1997/1 de la revue ACA a été consacrée à des études sur la jeunesse burundaise en crise.<br />

2 Lire à ce sujet, Déo NSAVYIMANA, « Comment sortir du système d’enseignement actuel de<br />

l’impasse », in ACA, 1997/2-3, pp. 206-210.<br />

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