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À L’HISTOIRE DES ARGOTS EUROPÉENS<br />
A la fin du XIV e et au début du XV e siècle, après une résistance<br />
héroïque, les royaumes bulgare et serbe furent occupés par l’armée turque et<br />
devinrent donc partie de l’Empire ottoman. Durant les premiers siècles de<br />
son administration, et dans certaines régions jusqu’au XIX e siècle, le pouvoir<br />
turc impose une politique graduelle de destruction des centres culturels et de<br />
la littérature, de persécution des instituteurs, d’interdiction de la création des<br />
écoles et de la construction des églises et monastères, qui dans la vieille<br />
tradition orthodoxe étaient des centres éducatifs très importants. Par<br />
conséquent, les langues nationales dans toutes leurs variétés, eurent des<br />
débuts difficiles. Leur forme officielle, standard, cessa d’évoluer et<br />
« se figea » dans une variante ancienne de la fin du XIV e siècle, et les<br />
dialectes régionaux restèrent le seul mode de communication.<br />
De la même manière, la voie des dialectes sociaux dans ces pays<br />
de la péninsule balkanique, est différente de leurs « confrères » occidentaux.<br />
Les rares sources d’informations sur leur existence tarissent et l’on peut<br />
supposer que dans ces circonstances historiques seuls les argots<br />
professionnels, parmi les autres sociolectes, continuent d’exister sous une<br />
forme extrêmement réduite. Le manque de pouvoir de l’Etat et de<br />
l’administration, l’absence d’éducation en langue maternelle, les restrictions<br />
imposées à certaines professions et aux organisations sociales, ne permettent<br />
pas le développement extensif de la langue standard, ni des dialectes sociaux,<br />
de la même façon que dans les pays d’Europe occidentale.<br />
Sur ce milieu historique, il est possible de croire que la division<br />
sociale et les difficultés économiques, qui concernent dans une mesure<br />
différente tous les peuples de l’Empire ottoman, même les Turcs et les<br />
musulmans d’origine slave, créent des conditions favorables à la naissance<br />
d’un nombre important d’argots secrets des voleurs, des bandits et autres<br />
criminels, ainsi que des argots des artisans. 1<br />
En 1818, dans son « Dictionnaire serbe », l’écrivain et linguiste<br />
serbe Vuk Karadžić signale l’existence de deux types de « langue secrète »<br />
en Serbie qu’il appelle, selon la tradition folklorique, « velika i malka<br />
poslovitsa », c’est-à-dire ‘le grand et le petit proverbe’. 2 Quelques décennies<br />
plus tard, dans la deuxième édition de son dictionnaire, Karadžić parle de<br />
« la langue secrète » des mendiants serbes qui porte le nom traditionnel de<br />
« guegavatchki govor » ‘le langage des aveugles’. 3<br />
A la fin du XIX e siècle, l’écrivain M. Miličević publie un livre<br />
biographique, consacré au travail du linguiste et philologue serbe Vatroslav<br />
Jagić, dans lequel il ajoute sur cinq pages « une liste de mots argotiques<br />
archaïques » collectés par professeur Jagić pendant son travail sur l’histoire<br />
de la langue serbe 4 , et le livre est probablement le premier ouvrage de type<br />
1 GÂBYOV P., « Prinos kam bulgarskite taini govori » (Contribution aux langues secrètes<br />
bulgares), SBNU – Sbornik za narodni umotvoreniya (Recueil de matériaux traditionnels), Sofia,<br />
Editions de l’Académie des Sciences de Bulgarie, 1899.<br />
2 KARADŽIĆ V., Srpski retchnik (Dictionnaire serbe), Vienne, 1818.<br />
3 KARADŽIĆ V., Srpski retchnik (Dictionnaire serbe), Deuxième édition, Vienne, 1852.<br />
4 MILIČEVIĆ M., Dr. Vatroslav Jagić u Srbiji i Sofiji (Dr. Vatroslav Jagić en Serbie et à Sofia),<br />
Belgrade, 1895.<br />
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