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Ville

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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />

authentique, celle du narrateur, exprimée, entre autres caractères, par le style de son<br />

discours, s’oppose « un nouveau habillé en bourgeois », c’est-à-dire un paraître<br />

bourgeois qui dissimule très mal « [le] gars de la campagne ».<br />

On pouvait s’attendre alors à ce que ce « gars de la campagne » s’exprimât<br />

comme les campagnards au XIXe siècle, quand ils utilisaient le français, soit en<br />

usant d’un code plutôt « restreint » par rapport au code « élaboré » de certaines des<br />

classes sociales des gens de la ville, soit en usant de cette langue encore très<br />

imprégnée du Français du XVIIIe siècle que parla la « paysannerie parcellaire »<br />

jusqu’au milieu du XXe siècle. Des différences et particularités lexicales,<br />

syntaxiques, rhétoriques devraient apparaître au moins dans les propos de Charles<br />

énoncés au style direct, mais il n’en est rien car Flaubert, contrairement à<br />

Maupassant (ex : « La ficelle ») ne cherche pas à simuler le parler des paysans dans<br />

les dialogues du roman, même si le père Rouault, par exemple, s’exprime dans un<br />

français que l’on pourrait qualifier de populaire :<br />

« J’ai été comme vous, moi aussi ! Quand j’ai perdu ma pauvre défunte<br />

[…] je pensais que d’autres, à ce moment – là, étaient avec leurs bonnes petites<br />

femmes […]<br />

Venez nous voir ; ma fille pense à vous de temps à autre, savez-vous bien,<br />

et elle dit comme ça que vous l’oubliez » 1 .<br />

Au fil de la lecture, on constate finalement que Charles ne s’exprime jamais comme<br />

« un gars de la campagne ».<br />

2. UNE INDICATION DONNEE DANS LES SCENARIOS<br />

Dans son « premier scénario général », Flaubert s’était contenté d’écrire en<br />

marge, s’agissant des origines campagnardes de Charles « commencer par son<br />

entrée au collège. – use ses habits de campagne dans les récréations » 2 Dans ce<br />

même scénario est écrit entre deux tirets : « son enfance à la campagne jusqu’à 15<br />

ans » 3<br />

Dans le texte du folio 3 (recto) on retrouve « habits de campagne », et en<br />

marge « son nom bredouillé à la classe. Hourra de la classe et rire du professeur —<br />

Charbovarri » 4 . Dans le folio 9 (recto) est toujours noté « habits de campagne »<br />

plus « Aux vacances il se retrempe dans la paysannerie ». Ces notes et fragments<br />

des scénarios annonçaient la description du début du roman « […] le nouveau était<br />

un gars de la campagne,… ». Mais, dans le folio 6 5 (recto) Flaubert écrit qu’Emma<br />

« ne peut pas plus communiquer avec [Charles] que s’il eût été un paysan » 6 , ce qui<br />

indique bien que dans son esprit Charles n’est pas un paysan, ce que confirme une<br />

note de la page du folio 4 (recto) :<br />

« Peindre d’abord Emma par le moral comme éducation et antécédents de<br />

famille (ce qui fait qu’elle épouse Charles qui n’est pas un paysan) puis par le<br />

physique – bonheur de Charles » 7 .<br />

1 Mme Bovary – Garnier-Flammarion — édition de 1966 – p. 54<br />

2 Yvan Leclerc – 1995 « Plans et scénarios de ‘Mme Bovary’– Editions C.N.R.S. partie ‘ le manuscrit’(<br />

folio 1 recto) p. 1<br />

3 — Ibid. —<br />

4 — Ibid. – p. 5<br />

5 — Ibid. – p. 27<br />

6 Flaubert insiste à plusieurs reprises dans le scénario d’ensemble sur « l’inanité de Charles »<br />

7 — Ibid. – p. 20<br />

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