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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
Loin d’être une parole singulière, ces énoncés manifestent une<br />
espèce de " polyphonisme inhérent " qui implique des altérités multiples, et<br />
s’inscrivent dans la dimension plurielle des " langages " de/dans " la ville ".<br />
Nous les avons rangés dans trois paradigmes essentiels que sont les maisons<br />
de commerce, les résidences et les débits de boisson. La démarche consistera<br />
à partir d’abord d’une description de ces tours ou constructions originales,<br />
avant d’en arriver à situer la place des locuteurs de l’espace géographique<br />
considéré.<br />
1. DES CONSTRUCTIONS SYNTAXIQUES ATYPIQUES<br />
Ce qui frappe de prime abord, c’est que le locuteur camerounais<br />
semble s’accommoder des constructions syntaxiques communément admises<br />
(qu’on peut trouver sous d’autres cieux, en France par exemple). Ainsi, la<br />
mise en apposition apparaît comme la construction la plus usitée, dans des<br />
syntagmes de type N1 N2 où le second terme qui devrait être complément<br />
déterminatif du premier s’en différencie totalement par le sens. Il lui est alors<br />
tout simplement apposé, tel un nom de baptême. On verra des exemples<br />
comme " Hôtel le paradis", " Mini-cité la sirène" (résidence d’étudiants),<br />
"Restaurant terre promise", " Circuit 1 Maracana ", " Espace commercial le<br />
béton "…Si dans ces extraits, les lieux désignés par un caractérisant nominal<br />
apparaissent en initiale, dans d’autres constructions on observe le phénomène<br />
inverse dans lequel le nom ne vient qu’à la fin, comme dans " Cendrillon<br />
Hôtel ", "Oxygène night-club", " Le volcan bar ", " Coup (sic) circuit auto ",<br />
" Kalakuta Alimentation " etc.<br />
Certaines constructions, par contre, ne s’embarrassent pas de cette<br />
spécification de l’espace désigné. Seul un syntagme qui n’a parfois rien à<br />
voir avec la réalité du lieu, mais du reste assez suggestif, tient lieu de<br />
toponyme. C’est par exemple le cas des noms ou syntagmes accompagnés<br />
prédéterminés comme " Le doux sommeil " (Pompes funèbres), " Le<br />
combattant " (bar), " Le Pélican " (restaurant), " Le safoutier " (bar), " le<br />
Phœnix " (night club). C’est le cas aussi des noms formés par composition,<br />
donnant lieu à des mots-valises comme " Essuie-glace " (bar), " Sous-sol "<br />
(night-club), " Bel-amour " (supérette). On notera aussi des cas d’emprunt<br />
aux langues étrangères telle que l’espagnol dans " El campero " (night-club),<br />
" Valley encatado 2 " (résidence d’étudiants), l’italien dans " Dolce vita "<br />
(glacier moderne).<br />
Contrairement aux occurrences précédentes, certaines formes<br />
toponymiques sont originales, typiquement camerounaises. Elles font preuve<br />
parfois d’une véritable indigence lexicale, réduites au minimum syntaxique.<br />
D’autres révèlent des formes exubérantes qui tendent au grossissement et à la<br />
boursouflure syntaxique de l’énoncé, avec des allures de véritables slogans<br />
publicitaires, comme dans " Food is ready " 3 (restaurant), " Qualité et<br />
quantité chez Mme Coach " (restaurant), " Songez au tic-tac " (boutique<br />
vendant des montres). Dans d’autres constructions de même type, la fonction<br />
1 Appellation locale des gargotes<br />
2 Valley est un mot anglais signifiant « vallée » ; encatado est un mot espagnol signifiant<br />
« enchantée ».<br />
3 Signifie la nourriture est prête.<br />
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