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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
1. AUX ORIGINES DE L’ECOLE AFRICAINE, PRODUISANT LA<br />
FUITE VERS UN AILLEURS<br />
Longtemps l’Europe a vécu dans un monolithe culturel, quelque peu<br />
monosémique, qui n’imaginait pas que de la richesse axiologique pouvait se<br />
trouver en dehors d’elle 1 .<br />
Par après, quand ce monolithe est entré en contact avec les autres<br />
cultures, les agents de la colonisation et de l’évangilisation, n’ont pas fait<br />
autre chose que de transmettre brutalement le monoculturalisme, sans<br />
distinguer l’essentiel de l’accessoire. Pour ne donner qu’un seul exemple, les<br />
Portugais n’ont pas hésité à « portugaliser » les peuples colonisés, pour<br />
« mieux les évangéliser », jusqu’à ne même pas laisser aux indigènes, le droit<br />
de garder leur nom de famille. Ailleurs les cultures conquérantes sont même<br />
allées jusqu’à tolérer l’esclavage ; jusqu’à laisser presqu’exterminer des<br />
races entières, comme les Amérindiens et les Aborigènes d’Australie ;<br />
jusqu’à laisser l’intelligence humaine se demander si les « sauvages » avaient<br />
une âme.<br />
A ce sujet, j’ai vu un film sur le grand Bartolomeo de Las Lasas, qui<br />
a exprimé un « non possumus » (nous ne pouvons pas accepter), face aux<br />
conséquences extrêmes de cette interrogation idéologique et pastorale. Un<br />
Cardinal était envoyé de Rome pour trancher le débat sur la question<br />
suivante : Est-ce que les Amérindiens ont une âme ? Le film montra le<br />
Prélat se retirant pour prier. Suite à quoi, il revint et prononça solennellement<br />
la sentence, selon laquelle les Amérindiens avaient bel et bien une âme.<br />
Tout de suite, à brûle-pourpoint, un membre du barreau de l’époque<br />
lui a demandé, si les Noirs avaient, eux aussi, une âme. Sans hésiter, il<br />
affirma qu’ils étaient trop obscurs pour en avoir une. Ce qui fit dire un<br />
ami britannique en train de regarder, avec moi, le film : « cette fois, il n’a pas<br />
pris le temps de réfléchir et de prier, pour donner une réponse mûrie ». Mon<br />
ami britannique disait cela avec l’humour de son peuple. Et à moi de<br />
répliquer exécré : « C’est peut-être parce que cela allait de soi à l’époque de<br />
l’esclavage. En tout cas, le film a l’air de vouloir donner ce message : il<br />
n’était pas nécessaire de chercher la lumière de Dieu pour répondre à une<br />
telle question ».<br />
Evidemment, ce n’était qu’un film, c’est-à-dire de la fiction. Mais,<br />
quand on connaît la force de l’allégorie pour transmettre l’imaginaire<br />
collectif d’une époque, cela est donnant : cela donne à penser. De toutes<br />
façons, le millénaire s’est poursuivi, mutatis mutandis, sur la lancée de<br />
l’acculturation par substitution. Mais cette fois-ci, aujourd’hui, ce sont les<br />
assimilés et les déculturés eux-mêmes, qui tuent le reste de leur propre<br />
âme, au point de n’avoir rien à donner, à l’ère de la mondialisation et de<br />
l’interculturalité.<br />
L’opération de vacuisation anthropologique a pris donc son<br />
chemin 1 . De plus, entre-temps, après les indépendances, les Etats-Patrons<br />
1 En l’an 2000, la revue Au Cœur de l’Afrique (ACA) a produit un numéro spécial faisant le bilan<br />
du Deuxième millénaire. La question du monoculturalisme, d’origine médiévale, a été fort<br />
étudiée. Cf. ACA, n° 2000/1, pp. 1-170.<br />
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