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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
L’inclusion de ce « poslovetchki govor » parmis les langues<br />
étrangères signifie clairement qu’il s’agit d’un variant linguistique diffèrent<br />
de la langue maternelle. D’autre côté, sa séparation des langues étrangères<br />
citées et la préférence de Prince Marko de l’utiliser à la place de ces langues,<br />
plus ou moins connues à cette époque en Bulgarie et en Serbie, nous<br />
montrent que ce variant aurait dû être bien incompréhensible et très mal<br />
connu, qui corresponde à un langage secret.<br />
En effet, l’argot proverbial, cité ci-dessus, est une manière secrète<br />
de parler, qui est bien connue sous les noms de « ptitchechki ezik » ‘la langue<br />
des oiseaux’ou « vrabechki ezik » ‘la langue des moineaux’. Il existe dans<br />
tous les pays de la péninsule balkanique et en Europe occidentale, même<br />
dans les pays d’Asie orientale. Nous trouvons des indications à leur sujet<br />
toujours chez Chichmanov : « Les argots proverbiaux existent presque<br />
partout au monde. J’en trouve beaucoup d’exemples en Autriche, en<br />
Allemagne, en France, en Espagne, au Danemark, en Hongrie, aux Pays-<br />
Bas, en Islande, en Bosnie, en Pologne, en Bukovina, en Inde, en Chine, etc.<br />
Dans tous ces pays les argots proverbiaux se créent de la même manière et<br />
les syllabes, qui s’ajoutent sont similaires dans beaucoup de régions : be, ne,<br />
ai, ku, po, etc. » 2<br />
Même dans les années 1960 quelques types similaires de ces<br />
argots proverbiaux existaient en Bulgarie, surtout parmi les élèves des<br />
classes élémentaires, normalement chez les garçons. Dans leur jeu ils<br />
utilisaient très fréquemment ce type d’argot cryptique – une syllabe pe- avant<br />
chaque syllabe, prononcées à une vitesse prodigieuse, rendait leur langage<br />
difficile à comprendre. Quelques années plus tard, au collège ou à l’armée,<br />
en grandissant, les étudiants apprenaient un autre type, plus difficile et plus<br />
efficace, qui présente des analogies avec les argots français à clef largonji ou<br />
louchérbem 3 . L.-J. Calvet fait remonter l’origine de ces « argots à clef » aux<br />
XVIII e – XIX e siècles 4 mais ils sont probablement beaucoup plus anciens. De<br />
l’autre côté de l’Europe, le linguiste russe V. D. Bondaletov parle aussi de<br />
l’existence d’un même type de langages secrets en Russie, mais les définit<br />
seulement comme « les langages convenus des enfants » et les relie à un<br />
groupe de communicants limités par leur âge. 5<br />
Malheureusement, la vie des sociolectes scolaires en Bulgarie, en<br />
Serbie et jusqu’à un certain degré en Croatie interrompt son cours normal.<br />
Pendant l’occupation turque, il était impossible d’imaginer l’existence d’une<br />
forme élémentaire d’argot scolaire, même au sens large, car en réalité les<br />
écoles traditionnelles et laïques n’existaient pas. L’éducation était dispensée<br />
dans une sorte d’école primitive qui s’appelait « kiliino utchilichte » – ‘école<br />
de cellule de religieux’. Ce n’est que vers la fin du XIX e siècle qu’un système<br />
1 Il est bien difficile de traduire ces chansons traditionnelles car elles sont écrites dans une forme<br />
dialectale très ancienne, avec beaucoup de lexèmes et d’unités morphologiques qui n’existent pas<br />
non plus dans la langue bulgare ou sont très rares dans la langue serbe.<br />
2 CHICHMANOV Iv., Op. cit., p. 18.<br />
3 Ce type d’argot français est appelé différemment par les auteurs : louchébem ou louchérbem<br />
(avec une consonne r). Il nous paraît très difficile de juger quelle forme est plus correcte ou plus<br />
répandue, tandis que la deuxième est en réalité le vrai résultat du procédé de verlanisation.<br />
4 CALVET L.-J., L’Argot, P.U.F., Paris, 1994., pp. 57-59.<br />
5 BONDALETOV V., Op. cit., pp. 66-74.<br />
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