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LES LANGAGES DE LA VILLE<br />
homme d’origine italienne Natalio, son fils Mario, et un autre adolescent.<br />
Présents dès l’aube dans le quartier qu’ils voient s’éveiller, ils vendent des<br />
journaux sur place mais les livrent aussi à domicile dans les immeubles<br />
environnants. Le déroulement de la matinée est réglé minute après minute<br />
comme une horloge. Pour le jeune héros Mario, la simultanéité des faits et<br />
gestes du quartier crée un emboîtement d’actions les unes dans les autres qui<br />
a pour effet de dilater le temps… Toute l’action du roman (198 pages) est la<br />
dilatation d’une seule matinée remplie d’événements. Chaque dialogue,<br />
chaque parole échangée avec un client ou un passant laisse l’empreinte d’un<br />
langage, pas d’interférences, juste un emboîtement perceptible… et une<br />
distorsion temporelle. On remarque ici une première déconstruction, celle de<br />
la trame de signes urbains, de l’enchevêtrement de paroles orales, gestes et<br />
actes qui ici se décomposent et se différencient ; et celle du temps<br />
chronologique. C’est comme si le temps de l’histoire adoptait le rythme du<br />
récit linéaire. Comme si dans l’espace de la ville tout s’inscrivait à la manière<br />
de caractères s’imprimant dans un livre.<br />
Dans deux romans intitulés La Guerre des gymnases et Le Rêve,<br />
l’espace se pose à travers deux lieux symboliques : une église, lieu du culte<br />
religieux, et un gymnase, lieu d’un nouveau culte, celui du corps.<br />
L’empreinte apparaît ici comme imprégnation : les fidèles de l’église comme<br />
ceux du gymnase sont pris dans la clôture dramatique qui règne dans ces<br />
espaces, ou bien même s’y retrouvent littéralement prisonniers : l’église est le<br />
théâtre d’un culte étrange célébré dans une atmosphère imprégnée d’une<br />
fumée d’encens hallucinogène. Le complexe religieux occupe tout un pâté de<br />
maisons de forme parfaitement carrée. Il est cerné de murailles<br />
infranchissables et peuplé de religieuses hostiles qui pratiquent, dans des<br />
souterrains situés sous l’église, d’inquiétantes expérimentations secrètes de<br />
procréation artificielle. Une jeune femme et son bébé s’y retrouvent<br />
prisonniers, et le héros du roman se lance à leur secours ; il se retrouve vite<br />
enfermé dans les souterrains obscurs. La trajectoire labyrinthique de<br />
l’évasion des personnages révèle un univers infernal, une face cachée du<br />
quartier de Flores. C’est une sorte de « monde d’en bas », un monde des<br />
origines, où se jouent les mystères de la création et de la procréation… Il est<br />
intéressant de souligner que les différents niveaux du complexe religieux<br />
établissent un lien vertical spatial et symbolique entre le ciel et le sous-sol.<br />
Quant au gymnase, il est presque désert et les appareils de musculation sont<br />
évoqués comme une « oasis », une « jungle métallique » ; il est en revanche<br />
peuplé de nombreux miroirs et d’une baie vitrée qualifiée de « mur de<br />
verre 1 », qui réfléchissent la lumière et multiplient les êtres de façon<br />
magique, ce qui souligne la fermeture oppressante et la tension du lieu<br />
menacé par une mystérieuse guerre des gymnases.<br />
Les comparaisons avec des éléments de la nature introduisent un<br />
langage différent dans la géométrie urbaine ; le foisonnement souterrain ou<br />
selvatique, ainsi que le jeu des miroitements, font surgir dans le texte une<br />
dimension « sauvage », incontrôlable, un désordre apparent, qui semblent<br />
annoncer les épisodes conflictuels ultérieurs et le chaos final des intrigues de<br />
1 La Guerre des gymnases, p. 44, p. 7 et p. 8.<br />
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